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Photo du rédacteurL'abeille lunaire

La Voie Royale

de Frédéric Mermoud



La Voie royale, titre presque ironique vue l'affiche du film qui le contraste, raconte le parcours de Sophie, une jeune femme forte en maths, fille d'éleveurs, simple et modeste. Lorsque les choix de Parcoursup s'imposent, son professeur l'encourage à aller en prépa. Cela lui ouvrirait des portes, de plus elle en a les capacités. Il fait naître en elle ce rêve : faire de grandes choses, au-delà de l'élevage familial.

Sophie entre alors en prépa au lycée Descartes de Lyon.


Ce film est une très bonne représentation de ce qu'est une prépa : dur, injuste, pénible, élitiste, épuisant, opressant, etc. Mais j'ajouterais un détail : c'est là une très bonne représentation d'une prépa « haute gamme », et non de toutes les prépa françaises.

Ce que va vivre Sophie dans l'établissement Descartes, à une telle intensité en tout cas, cela ne concerne que les lycées compétitifs, ceux qui ne sont non pas là pour apporter de la culture mais bien pour gagner, avoir des concours. Souvent les plus fréquentés par des « bourgeois » ou des fils de bonne famille, ceux qui ont la confiance dans leur vie et leur réussite, la certitude profonde d'avoir une place légitime dans ces établissements qui les appellent « l'élite ».

Et cette population est très bien montrée, sans la dénigrer ou la stigmatiser pour autant, dans ce film. Il y a, pour sûr, un choc culturel et politique entre Sophie, gauchiste dont le frère occupe les ronds points avec les gilets jaunes, dont les parents galèrent à finir le mois et qui n'ont pas non plus les moyens financiers de passer au BIO, et ses amis en prépa, à l'aise, dénigrants les gilets jaunes car ils n'ont pas été sensibilisés à leurs problèmes, vivant sans doutes, sans peurs presque, sans limites, même morale. Dans ce genre de prépa, l'ambiance de classe qui se veut agréable et amusante incite à se montrer nu ou partiellement nu, et à huer ceux qui ne le font pas. Ils se croient autorisés à demander la nudité sans raisons, à n'importe qui, parce que pour eux, sans doute, ce n'est rien. Il semble y avoir, dans l'entourage scolaire de Sophie, une difficulté à voir au-delà de son monde pour la simple et bonne raison qu'ils n'ont jamais pris la peine d'en sortir.

Non seulement Sophie est confrontée à des personnes issues d'un autre monde, mais la prépa, en elle-même, est un autre monde. L'intello du lycée, qui n'avait rien demandé, se retrouve mauvaise élève, celle qui semble ne pas faire d'efforts, pas assez forte et surtout très médiocre. Pourquoi ? Parce que dans l'univers prépa, ça ne suffit jamais. Il faut travailler plus, faire plus, se mettre toujours plus de pression, viser toujours plus haut. Même le meilleur élève doit faire plus. C'est comme ça, mais c'est épuisant et cassant. Peut-être à tort. Ils disent que c'est pour tirer le meilleur de nous-mêmes, mais parfois il me semble que la patience et les encouragements fonctionnent mieux que les dégradations.

Le problème demeure celui-ci : ceux qui résistent à ce régime autoritaire sont ceux qui, au plus profond d'eux-mêmes, se savent être l'élite et ont l'assurance qui les fait tenir. Ceux qui craquent ne sont pas ceux qui n'ont pas de capacité mais ceux qui n'ont pas l'assurance que prodigue une place sociale confortable. L'éducation publique et égalitaire pour tous reste quelque peu mythique.

Et c'est en ça que j'aime notre personnage, Sophie, qui si elle a du mal à réussir en prépa n'abandonne pas ses rêves pour autant. Elle trouve un moyen, la détermination, sa voie propre.



(alert little spoiler)



J'aurais tout de même tendance à relativiser le propos du film. Sans pour autant dire qu'il est radical dans sa dénonciation de la prépa (on y voit des personnes diverses, une enseignante plus complexe et douce qu'il n'y paraît d'abord), il élimine l'option prépa malgré tout. Il donne l'impression que cette « voie royale » est trop dure, ou trop injuste, et que Sophie doit trouver une autre voie.

Oui et non.

Oui, parce que la prépa n'est pas idéale, parce que ce que l'on demande est intense, parfois inhumain, parce que tout le monde n'en a pas envie, n'en partage pas les valeurs et l'ambiance reste compétitive. Non, parce que cette voie ne devrait pas être trop dure, elle ne devrait pas être implicitement élitiste, elle ne devrait pas faire croire qu'elle est royale. Elle ne l'est pas. Qui veut y aller pourrait y arriver, aller jusqu'au bout. Sophie également. Qu'elle ne veuille plus y aller, soit. Mais il faut alors relativiser et rappeler que la prépa ce n'est pas uniquement l'esprit de compétition et entrer dans une école prestigieuse. C'est aussi de la culture, des rencontres et apprendre sur soi (sa façon de travailler, de gérer la quantité de travail, la pression, apprendre quelles sont ses valeurs, ses désirs propres).



(little spoiler end)




C'est donc un film à l'aspect très politique, sentimental (même si cela ne prend pas toute la place, pour le mieux), peuplé de gens simples comme Sophie, regorgeant d'espoir et de rêves... pas si utopiques. Car, après tout, ceux qui savent comment et quoi changer dans ce monde sont peut-être ceux qui sont victimes de ces choses qui ne changent pas et qui menacent de ne jamais changer, malgré les besoins évidents.


Un film gorgé d'espoir, de subtilité, d'émotions et d'intelligence ; plein de questions, de doutes, de force et de sourires. Je recommande grandement ce film... si vous doutez du fait que vous êtes capables de faire de grande chose. Du théâtre, des éoliennes, de l'ingénierie, de la littérature, de l'élevage ou de la politique.


Signé : une abeille lunaire

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