jusqu'où irons-nous ?
- L'abeille lunaire
- 22 mai
- 4 min de lecture
A peine réveillée je vois passer sur Instagram des images et des textes tout droit venus de Gaza, là où depuis trop longtemps des enfants meurent de faim, des humains sont enterrés vivants, là où nous en savons si peu et déjà tellement assez pour y mettre un terme. Et si nous ne pouvons rien faire, à quoi bon ?
A quoi bon tous ces débats ?
A quoi bon toutes ces belles paroles ?
A quoi bon l'Europe, à quoi bon les sourires politiques ?
A quoi bon si en tant qu'humain nous ne pouvons plus agir ?
Sommes-nous d'abord des politiciens, des "citoyens", ou des êtres vivants doués d'empathie et d'intelligence ? Je me le demande vraiment, sans sarcasme ni rhétorique. Les frontières sont comme des murs qui nous empêchent de voir au-delà de notre routine privilégiée, qui nous empêchent d'imaginer la torture que subissent des personnes à quelques milliers de kilomètres de nous. Peut-être que cela paraît loin, mais je vous assure que la cruauté marche plus vite que nous.
Tant mieux, en un sens.
Tant mieux si l'on ne voit rien, si personne n'en parle, si personne ne fait rien ! Au moins on dort paisiblement, sans que nos insomnies soient fracturées d'images morbides et du brouhaha des bombes qui pleuvent. Tant mieux pour nous si la seule inquiétude est de savoir ce que nous mangerons au dîner. Tant mieux si nous avons un lit, un toit, trois repas, des opportunités, des rêves et des déceptions.
Tant mieux si tout le monde se moque qu'aux pieds de nos murs dorés des innocents agonisants nous supplient de leur tendre la main, une goutte d'eau, un sourire, un geste, tant mieux si on ne les entend pas.
Car ça ne va pas s'arrêter. Gaza, l'Ukraine, on en parle par politesse, mais il y a dans tous les pays de ce monde hypocrite des gens qui crient. Vous ne les entendez pas ? Les trans aux Etats-Unis ? Les ouïghours en Chine ? Les femmes en Iran ? A quoi bon réduire à un seul pays... Après tout nous sommes à l'ère de la mondialisation. Les trans du monde, les discriminés en raison de leur religion, de leur couleur de peau, qui pleurent aux quatre coins du monde, les femmes qui meurent un peu partout parce qu'elles n'ont pas de pénis, mais jusqu'où irons-nous ?
Bien sûr que j'en fait partie. J'ai ma part d'hypocrisie.
Moi aussi je veux dormir la nuit sans trembler. Moi aussi j'estime que mes problèmes me suffisent déjà bien assez. Moi aussi je ne me rends pas toujours compte de mes privilèges. Je n'ai sûrement pas le courage d'aller au front relever les soldats, à peine plus âgés que moi, qui n'ont rien demandé mais qui meurent explosés dans la poussière; je ne peux pas parler au nom de toutes les femmes ou de tous les lgbtqia+, mais au moins je parle. Ça commence par la conversation lors d'un repas de famille, une plaisanterie que l'on reprend, un post Instagram que l'on partage, et c'est bien frustrant de ne pas pouvoir secouer les petites épaules de nos politiciens, sûrement débordés par leur paperasse administrative, trop occupés pour entendre les cris qui résonnent jusqu'ici. Mais vous et moi nous les entendons, ils doivent bien les entendre aussi, non ?
Peut-être suis-je mauvaise langue, peut-être se démènent-t-ils pour faire advenir la paix dans le monde, mais aussi mauvaise puis-je être je ne suis pas idiote. Quel genre de pays clamant fièrement "Liberté, Egalité, Fraternité" peut à ce point tourner le dos à de pareils actes ? S'ils font de leur mieux, pourquoi ne disent-ils pas les bons mots?
Les mots ont été inventés pour ça. Etre clairs. Se faire comprendre.
Racisme.
Transphobie.
Patriarcat.
Génocide.
Immaturité.
Les mots en appellent d'autres, car c'est ça la maturité : communiquer. C'est assumer la conséquence de nos actes et de nos mots. Si plus personne n'ose rien dire, c'est perdu. Si plus personne n'ose contredire, nous sommes fichus.
Il est naïf de chercher la paix quand on sait à quel point la vie humaine en ignore tout. Vivre c'est être en guerre. Chaque mot peut être vu comme une déclaration de guerre ou un acte extrêmiste, sauf quand ça les arrange. Si tant de puissants assument de ne pas tolérer certaines personnes sous prétexte de différences, nous sommes en droit de ne pas tolérer leur idiotie.
Peut-être que ça ne se voit pas, mais ce texte n'invite ni à la guerre ni à la violence - même s'il semblerait que ce soit l'unique langage que nous comprenions -, au contraire, je rassemble tout mon optimisme pour espérer la paix. Ou, à défaut, de vraies conversations, des actes humains, pour changer. En France, aux Etats-Unis, en Iran ou Afrique du Sud, en Espagne ou en Norvège, en Chine et en Russie, on s'en fout de savoir qui a la plus grosse. Nous, tout ce qu'on veut, c'est pouvoir dormir sans cauchemars supplémentaires.
Si vous voulez tant jouer à la guerre, voyez ça entre vous et avec vos épées en bois, faites une partie d'échecs ou de Super Smash Bros, mais ça suffit de jouer avec nos vies.
Signé : une abeille lunaire
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