[ personnage fictif ]
Est-ce qu'il valait mieux rester dans l'ignorance, continuer à trouver de quoi être joie dans ce monde qui n'est que cruauté ? Je ne saurai jamais, car maintenant je sais. Ni dans 1984, ni totalement aliénés au point de ne jamais rien comprendre du monde qui nous entoure, pas encore. Je suppose qu'une éducation poussant sans cesse à la réflexion m'a donné cette « chance » de prendre conscience. Conscient, maintenant, de la politique qui régit notre société, de cet argent désiré pour consommer, poussant à travailler jusqu'à nous oublier ; de ce patriarcat qui rend monstre la moitié de l'humanité et simples objets l'autre moitié ; de ces guerres éternelles, ignorées ou médiatisées, pour le profit d'un patronat discret et destructeur, mais humains en somme ; de ces systèmes élitistes, sexistes, racistes ; de cette planète vidée et jetée ; de ces jolis messages patriotiques invitant à sacrifier le seul bien dont nous jouissons à peu près librement, cela pour défendre un monde, une population et un système qui fuiraient à la vue de notre agonie... Je m'en serais bien passé. Mais j'y suis, désormais. Et je me perds tout comme je perds mes illusions. Fatiguée des violences, de l'hypocrisie, des inégalités et de l'injustice, je désespère, espère, rêve et réinvente.
Ni réellement citoyen, ni complètement résistant ; ni l'homme, ni la femme ; ni la consommatrice, ni l'ermite ; ni le travailleur, sur qui tout repose, ni le vaillant porteur d'idées ; rien qu'un humain, je suppose, qui n'a plus envie d'être qui que ce soit, qui a peur d'espérer un mieux lointain. Car aurai-je encore la force, aurons-nous encore la force, de tenir jusqu'à atteindre l'horizon... qui à chaque coup de rame s'éloigne, encore et encore ? Pourtant, qu'est-ce qu'un humain qui n'espère plus ? Qu'est-ce qu'un humain raisonnable, un humain qui abandonne, un humain qui se résigne, un humain qui se contente ? Je ne veux pas mourir, non plus. Je pense qu'il est légitime de ne vouloir être ni le bourreau ni la victime, mais de ne pas trouver quelle place se trouve entre les deux ; de ne vouloir ni m'épuiser à survivre pour souffrir, ni mourir, quitter mon monde et ceux qui le rende merveilleux.
Ni victime, ni bourreau... mais ne sommes-nous pas tous victimes et bourreaux, à temps partiel ? Femmes victimes, de leur sexe - et hommes aussi - citoyens naïfs, victimes des vitrines, des pubs, des maximes bon marché ; hommes bourreaux, bourreaux témoins, passifs, silencieux, égoïstes, tout comme les femmes savent l'être. L'humain, tout compte fait. Comment vouloir être qui que ce soit ? Et où trouver la force de se battre lorsque des siècles d'échecs et de soumissions ont brûlé le moindre résidu d'espoir ? Dans les autres, peut-être.
Autres en qui j'ai cru qu'il était si beau de croire. Briseurs de cœurs, rires alléchants et regards charmeurs. Je rêve de l'époque d'ignorance et je souris de leurs sourires. Ils étaient doux lorsque je ne cherchais pas à les lire. Ils sont doux lorsqu'on les prend par surprise. Conscients, nous le sommes même de ce qui était inconscient. Nous sommes devenus les images trop belles des cartes postales, les élèves modèles qui ne pensent plus, les gémissements de vidéos artificielles, les personnalités vertueuses de la Bible, celles sexy des réseaux sociaux. Je ne sais pas. L'individu devient ce que l'on veut qu'il devienne. L'individu est élevé dans l'idée de ce qu'il deviendra. L'individu est éduqué pour devenir untel. L'individu est aimé pour ce qu'on projette sur lui. Où sommes-nous donc ? Où suis-je, moi ? Je ne veux être nulle part, nulle part ailleurs que dans le recoin confortable de mon esprit, qui me susurre que de tout ce malheur naîtra une joie, une fierté, un exploit, une harmonie... un jour.
Impatience de voir le jour se lever sur cette nuit sans étoiles. Peur de l'avenir lorsqu'on lit partout que demain la Terre meurt. Frustration de trier ses déchets, de donner de l'argent à un mendiant, de payer cher ses produits BIO, pour finalement voir le taux de pollution augmenter et les champs être brûlés, encore et encore. Fatigue... oui, fatigué je le suis, je prendrais bien une gomme pour tout effacer. Tout recommencer. Après tout, cette longue introduction ne me convient pas. Mon personnage ne s'y retrouve pas.
La page blanche peut être délicieuse. Après tout... elle n'impose rien. Elle murmure simplement de ne pas se tromper à nouveau, de ne pas trop souvent revenir à elle, car le jour viendra où je ne la supporterai plus, un jour viendra où j'aurais gommé trop de fondations... et ce jour elle m'engloutira.
Mais aujourd'hui, je veux tout réécrire.
Et ça commencera ainsi : « Ils arrivèrent, tous différents, beaux, contemplatifs, curieux, admiratifs de la nature fleurissante qui les entourait. Un lien harmonieux les reliait à elle. Il fallait l'entretenir, plus que tout. Premier repère, première vérité, à ne pas laisser s'échapper.
L'esprit explosif, vif, créatif, le corps intrépide, fort, résistant, mais avant tout une conscience de l'équilibre. De cela, quel monde infiniment magnifique allait-il créer ! »
Signé : une abeille lunaire
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