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Photo du rédacteurL'abeille lunaire

Vide intérieur

inspiré de Bergson, La Pensée et le Mouvant


Contrairement ce que pensent les personnes qui ont la chance de ne jamais s'y être essayé, la scarification est une pratique apaisante et rassurante. Les personnes qui y sont amenées ont une impression de vide en elles qu'elles essaient, par cet acte, de combler. Elles en sont arrivées à un stade d'efforts sociaux, de recherches de masques adaptés et de compromis à leurs désavantages qu'elles sont, tout simplement vidées. Ce n'est même plus de la tristesse, de la colère ou de la souffrance. Elles sont vides. Certes, petit à petit ce vide deviendra source de souffrance et véritablement insoutenable. Il sera frustrant car elles savent que la norme est de ressentir. Pour être sûres d'être toujours en vie, elles vont se faire du mal. Ce sera, au moins, temporairement, une certitude. Et par manque de repères et de certitudes dans ce monde insensé, cela peut rapidement virer à l'addiction.

Mais d'où vient ce vide intérieur ? Comment est-ce possible, l'esprit peut-il réellement être vide ? Certaines de ces personnes en sont amenées à se suicider, d'autres sont suivies par une équipe médicale et mettent des années à s'en sortir. Parfois, le vide est passager. Il n'est ni le signe d'une dépression ni d'aucune autre maladie mentale, il est juste là et on ne sait pas vraiment pourquoi. Il me semble que deux solutions, face au vide intérieur, sont à prendre en considération : l'acceptation et la remise en question.


Accepter de ne pas ressentir la norme.

Remettre en question l'idée même de vide.


Pour commencer :c'est normal de ne pas sentir les choses normalement. Si je voulais jouer avec les mots je dirais qu'il est normal de ne pas être normal, car la norme est une notion arbitraire, abstraite, changeante, diverse, assurément pas universelle, complètement illusoire. Quel ennui de se cantonner à des normes et de les laisser nous dicter notre vie... De ce fait, sentir « moins », sentir « plus », ou l'impression de ne « rien » sentir c'est okay. Un monde où les humains ressentiraient les mêmes choses, au même moment, avec la même intensité et de la même façon serait un monde d'automates ternes, une monoculture comme dirait Lévi-Strauss, tandis que notre monde est un champ de fleurs sauvages et originales. Si un jour vous vous sentez vide : acceptez, accueillez ce sentiment. Il n'est pas sans raison. Il est en vous sans être vous, ce qui lui donne de l'importance mais pas de dominance. Personne n'est un vide. Notamment parce que ce mot est discutable.


Dans un second temps, après avoir accepter ce sentiment de vide qui n'est pas si rare, il faut le confronter, l'interroger. Pourquoi es-tu là, vide ? Que signifies-tu ? Pourquoi es-tu si douloureux ?

Tout d'abord j'aimerais poser deux questions qui inicieront la réflexion :

  • si tu ressens la douleur du vide, la frustration d'être vide,l'idée de vide, es-tu vide ?

  • Ensuite... le vide existe-t-il ?

Ce sont des questions que pose, plus ou moins directement, Bergson dans sa Conférence « Le possible et le réel », publié en novembre 1930 et disponible dans l'ouvrage La pensée et le Mouvant (page 135 de l'édition GF). Sa réflexion est une critique des questions que les philosophes classiques et modernes se sont posées avant lui. Cela n'a donc rien à voir avec les sciences humaines, mais ses propos sont assez généraux pour que je les utilise à mon compte sans pour autant les déformer.

Pour être claire, il considère que les problèmes qui ont obsédés ses prédécesseurs sont des «problèmes inexistants» (p141), de faux problèmes. Ces philosophes que tout le monde admire ont mal posé leurs problèmes existentiels. En les corrigeant, Bergson prétend répondre à ces soi-disant problèmes et lever l'angoisse dans laquelle on s'emprisonne en tentant, vainement, d'y répondre. Ces fameux problèmes concernent deux champs essentiels de la philosophie : l'être et le connaître. L'on va s'intéresser ici à l'être, car c'est cette reflexion qui a inspiré la mienne et le second n'est, en principe, qu'un approfondissement du premier.


Ce premier problème qui traverse toute la philosophie, voire les sciences, est celui qui a intéressé Leibniz également (et que Bergson critique indirectement) : et si le monde n'était pas ? Et s'il n'y avait rien ? Pourquoi y'a-t-il de l'être ? En d'autres termes, cela revient à interroger et analyser la réalité jusqu'à trouver une « cause transcendante », ou « raison absolue », qui expliquerait tout. La cause de tout ce qui est. Cependant, cela ne s'atteint jamais. Remonter la chaîne des causes et des effets est une « course à l'infini », comme le dit Bergson. La cause de mon existence est la rencontre d'un spermatozoïde et d'une ovule précis ; mais l'existence de ces deux derniers est due à l'existence de mon père et de ma mère, eux-mêmes dépendants d'autres spermatozoïdes et d'autres ovules. Si on remonte et remonte et remonte encore cette chaîne, on arrive à la soi-disante création de toute chose : le Big Bang, ou Dieu. Mais avant eux ? Rien ? Rien du tout ? Et s'arrêter, comme le fait Leibniz, à une Cause absolue, pour lui Dieu, c'est dire que ce dernier est à la fois cause et effet de lui-même. Or (Nietzsche m'ôtant les mots des doigts) c'est absurde.

Ni Dieu ni le Big Bang ne peuvent pas sortir de nulle part.

Si l'on tient à demeurer fidèle à l'idée même de principe de causalité, centrale en science et en logique, s'arrêter quelque part sur cette chaîne n'a pas de sens. Mais continuer à chercher à l'infini la cause de toute chose est une aporie (impasse) angoissante. Pourquoi angoissante ? Parce que cette démarche suppose qu'il y a un « avant l'être », l'être étant ici toute réalité concrète. Et alors l'homme, angoissé par nature, se dit « il pourrait ne rien avoir ».

L'être suppose le néant.

* panique *


Or c'est là que Bergson va positionner sa critique : sur cette phrase présupposée dans toute question portant sur l'être, le monde, l'existence, etc. Toutes ces questions présupposent l'existence du vide, du néant, d'un rien. S'il y a de l'être, c'est que, par logique d'opposition, il y a du néant. Toutes ces interrogations, implicitement ou explicitement, supposent un être créé ex nihilo, à partir de rien. Comme si, pour que la vie soit, il fallait qu'elle soit précédée par un néant qui rende possible le « début de toute chose ».

Mais qu'est-ce que le vide ? Qu'est-ce que le néant ? Selon Bergson, ce sont là des notions qui ne renvoient à rien. Elles sont certes utiles sur le plan pratique, pour agir, communiquer, s'exprimer, mais les utiliser en théories n'a aucun sens. Le vide n'est qu'une idée, ça n'existe pas. Fait-on l'expérience du vide ? Non, jamais. On fait l'expérience de l'absence de ce que l'on cherchait.

Le vide c'est l'expression de notre frustration de ne pas trouver ce que l'on cherche, ou c'est notre incapacité à voir ce qui est vraiment là. Même le plus « vide » des « vides » est plein. L'air ou l'espace sont plein de molécules, d'atomes, de gazs. C'est « vide » parce qu'il n'y a pas ce à quoi l'on est habitué (la poussière, les arbres, le sol..) mais l'espace est bien plein. L'air qui nous entoure est rempli d'invisibles. De la même façon, si je cherche mes clefs partout dans ma maison, que j'ouvre mon tiroir et qu'il y a tout sauf mes clefs, je dirai « il n'y a rien ici » et passerai à un autre tiroir. Ça ne signifie pas que le tiroir, en lui-même, est vide. « Rien », « vide, « néant » ne sont que des façons de parler dans la vie courante. Si l'on veut commencer une réflexion, ces mots n'ont pas leur mot à dire. Ils manquent de rigueur. En cela, les philosophes ont mal posé leurs problèmes, et de ce fait ils se sont pris la tête sur des problèmes qui n'en seraient pas s'ils étaient bien posés (« bande d'idiots » pour traduire le bergsonisme).

C'est pourquoi Bergson dit de la réalité qu'elle est « du plein qui ne cesse de gonfler, et qui ignore le vide » (p140). Comme un ballon. Comme le vide n'existe pas, la réalité ne peut pas « être au milieu du vide », ou « naître du vide ». Elle est. Tout simplement. Et ne fait que s'étendre, grandir. Notre conception de la réalité et du vide repose également sur une conception faussée de l'espace, et elle est faussée sur le plan théorique car elle est infectée par notre conception pratique. Mais c'est encore une autre questions...


L'être ne suppose pas le néant, parce qu'il n'y a aucun néant. Angoisser à l'idée de « l'être » est donc absurde, surtout lorsque l'on sait, grâce à la métaphysique de Bergson, que la réalité, donc tout ce qui est, est si créative...


Pour en revenir à nos questions initiales : s'il n'y a aucun vide concret, comment peut-on dire ressentir le vide en nous ?


Techniquement, notre être n'est pas plus vide que l'air.

« Je me sens vide », donc je sens bien quelque chose. Pour les hegeliens, je ne suis pas vide, les mots flottent dans mon esprit. Il y a le mot « vide » en moi, donc techniquement je ne suis pas vide. Pour moi qui suis un peu plus bergsonienne, je dirais que ce n'est pas un vide, mais une absence de quelque chose. En fait, même si l'on ne ressent rien de fort (joie, colère, anxiété, peur, amour), que l'on se sent neutre, notre esprit n'est pas vide. On voit les livres sur l'étagère, on hume l'odeur du café, on entend les oiseaux et le vent contre les fenêtres, on sent la résistance de chaque touche du clavier d'ordinateur, et toutes ces sensations existent bel et bien. Elles ne disparaissent pas, elles sont en nous. Et elles touchent directement à nos souvenirs. Le café me rappelle telle époque, les oiseaux me ramènent à tels lieux, les livres me ramènenten mémoire ce temps de lecture et de découverte. Je ne ressens rien de spécial, mais mes souvenirs m'habitent et me remplissent, et ils feront bientôt naître en moi de la nostalgie, du doute, des questions précises ou bien un sentiment d'errance et de perte de moi-même. Ce n'est pas rien. Ce n'est pas parce qu'on n'a pas les mots pour décrire notre intimité qu'elle est vide.


Finalement, dire que l'on se sent vide, c'est se réduire, se minimiser. Je ne suis pas vide, je ne suis pas rien. Je suis simplement vide de ce que l'on veut trouver en moi.


Il me semble que ce vide intérieur est l'absence des sentiments et des pensées normés. Se sentir vide c'est se sentir en décalage avec la réalité sociale. Se sentir vide c'est se sentir dépassé par la vie que l'on nous demande de vivre. Peut-être que ce vide en nous est la frustration de ne pas trouver en nous la personnne « parfaite » qu'on nous demande d'être et, heureusement, qu'on n'est pas. L'on se sentirait peut-être moins vide si l'on cherchait qui nous sommes, et pas qui nous devons être.


Bergsonienne et proustienne que je suis, je pense que les souvenirs et les sensations sont de riches sources pour y trouver notre essence. Si je me sens vide, je repense à ce que j'ai vécu, à ce qui me plaît, car je sais qu'il a des choses qui me plaisent, cependant ce n'est pas « ce que je devrais faire » ou ce qui « devrait me plaire » ou c'est « une perte de temps » dans l'optique de vivre une vie sage et rangée. Mais Akako m'a écrit, un jour :


« Il n'y a rien de grave à tout foutre en l'air. Cette société n'a jamais été juste. Tu ne lui dois rien. A quoi bon jouer les petits soldats et boire ces inepties ? S'ils disent que c'est inutile et que tu perds ton temps, fonce.

C'est dans ce temps volé, qui ne leur apporte rien, que tu vis ta vie. TA VIE à toi...


'' Les indisciplinés sont des voleurs de temps. '' -Grégoire Chamayou.


Ne rentre pas dans le rang.

Ne sois pas l'adulte qu'ils veulent que tu incarnes à l'instar des adultes qu'ils ont créé avant toi.

Ne sois pas la fille silencieuse, docile et féminine ou la bonne élève qui suit le chemin qu'on trace pour elle.

Ne te laisse pas contrôler par ces étriqués qui ont oublié comment rêver


Le monde est grand.

Ne les laisse pas te faire croire qu'ils savent mieux que toi ce qui est bon pour toi, parce qu'ils ne vivront jamais TA vie. Tu es libre, ne te méprends pas, les seules barrières ou chaînes qui te maintiennent sont celles que tu crois suffisamment fortes pour t'immobiliser... »


Et c'est si vrai et si sage qu'ils faut que vous le lisiez vous aussi, encore et encore.

Je suis vide parce qu'en moi je ne trouve par la fille silencieuse, docile et féminine qu'il serait plus facile que je sois ; je ne trouve pas non plus, étonnamment, la bonne élève ; je ne trouve absolument pas l'ombre du chemin qu'on veut me faire suivre. En moi tout est très différent. Mais si je dois être remplie de « ça », alors je suis réduite à un vide sans valeur, sans importance, sans consistance, sans avenir. Et c'est le piège. Ce n'est pas parce que je suis remplie de différences que mon plein ne signifie rien.

Nous sommes, tous et toutes, tellement plus que ce que l'on veut nous faire croire que nous sommes. La norme, la perfection, la force, au diable. Comme le disait Rousseau : « l'homme n'est jamais aussi fort que lorsqu'il est lui-même. »



Signé : une abeille lunaire.




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