Les trans en danger

Je vois depuis peu passer sur Instagram ce message : "'Love is Love', au lieu de dire ça, cette année, dites 'Les personnes trans sont en danger'".

Alors promotion, ce sera mon titre et pas juste un propos volatile.

Au lieu de toutes les promotions-canapé qui arpentent les charpentes de la société, voilà donc une promotion méritée. Ancienneté, loyaux services, des personnes d'une qualité rare, je pense qu'il est inutile encore de justifier leur légitimité. Si on autorise l'extrême droite à exister et à s'exprimer, toute la communauté lgbtqia+ a largement sa place au sein de l'espace public.

Pourtant cette place est étroite, et chaque jour encore plus petite et difficile à vivre, notamment pour notre T merveilleux, les trans.

Iels sont parmi les plus incompris. Et encore ! Si ce n'était que de l'incompréhension ! Mais chez certains l'incompréhension est dégoût, le dégoût est rejet, le rejet est peur et la peur est colère. Comme le dit si bien Lou Trotignon, ce n'est pas être trans qui est difficile, c'est la transphobie. Et bien sûr on pense à yoda : la peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine mène à la souffrance... la souffrance mène au côté obscur de la force.

Beaucoup d'individus ne comprennent pas ce qu'est "être trans". Et comment le pourraient-ils ? Ils ne le sont pas. Il me semble qu'on ne comprend vraiment une situation qu'en l'ayant vécue. Mais cela n'empêche ni la sympathie ni l'ouverture d'esprit.

On peut ne pas comprendre mais accepter que l'autre existe.

Sinon le monde serait encore plus compliqué... On ne peut pas comprendre la situation d'un chat, pourtant on les accepte.

Est-ce donc une question de compréhension ou d'habitude ?

Nous sommes habitués aux chats, moins aux porcs, et c'est pour ça que nous les mangeons si aisément.

Nous sommes habitués aux cis, nous commençons même, parfois, à nous habituer aux homosexuels, mais trans ! Faut pas pousser. Aromantique ? Asexuel ?! Les deux en même temps ?!? Qu'est-ce qu'il ne faut pas inventer.

Manger une sous-race d'humain ne nous semblera bientôt plus si bizarre.

Si ce n'est ni l'habitude ni la compréhension, peut-être est-ce de la mauvaise foi.

Je repose cette question qui me hante : jusqu'où irons-nous ?

Jusqu'à quand refuserons-nous d'apprendre ?

Nous ne sommes ni évolués ni civilisés, nous ne sommes pas arrivés. L'évolution continue, et nous pouvons autant régresser que progresser. Tout dépend de nous. Oui, évoluer, et même pour les plus égocentriques admettez que la souffrance est davantage dans le rejet que dans l'acceptation. Que risquez-vous à haïr un peu moins ? Peut-être à souffrir moins. Parce que oui, il est douloureux et épuisant d'être dans la haine en permanence, j'en viendrais presque à vous plaindre, mais vous faites trop de mal pour ça.

Croyez-moi, vous serez plus forts en lâchant prise. Ou, au moins, haïssez les bonnes personnes : celles qui font du mal, encouragent le mal, c'est-à-dire celles qui oppressent notre quotidien. Statistiquement, empiriquement, la menace n'est pas trans.

Je ne sais pas si je crois au "bien" et au "mal", mais je sais reconnaître les connards qui n'ont pas d'état-d'âme.

Après, il suffit de s'opposer. L'opposition peut s'exprimer en ignorance, en informations au cours d'une réunion de famille, en débats entre proches, pas besoin de barricades et de grands actes militants, pas forcément. J'en connais un•e qui me dirait l'inverse... mais allez à votre rythme.

Le pire c'est de ne rien faire.

Le pire c'est de laissez faire.

Nous n'avons qu'une vie, si crier et militer ce n'est pas vote truc alors partagez, écrivez, exprimez-vous à votre échelle, mais réfléchissez, pour commencer. Ne restez pas spectateur d'un monde que vous influencez.

Au-delà du confort il y a la morale.

J'ai toujours détesté les héros trop parfaits qui n'hésitent pas à mourir pour une juste cause. Je n'arrive pas à comprendre que notre force de vivre soit faible à ce point. Et pourtant... aujourd'hui, peut-être, je comprends.

Il n'y a pas de force de vivre sans idées fortes, sans sentiments forts, et ça nous en avons toustes.

Justice, amour, moralité, nous avons toustes quelque chose qui nous donne tellement envie de vivre que nous pourrions mourir pour la protéger.

Tous les philosophes connaissent le dilemme du train : doit-on choisir d'écraser une personne que l'on connaît ou un groupe d'inconnus, sachant qu'on ne peut pas arrêter le train ?

On s'attend souvent à ce que l'élève-philosophe choisisse d'écraser une seule personne au lieu de dix. C'est le choix éthique.

Mais si la personne que l'on doit écraser est la femme que l'on aime, croyez-moi on écrasera probablement dix personnes, même plus. Moi je le ferais. Si je devais mourir pour lui permettre de vivre, elle m'en voudrait mais je mourrais.

Maintenant autre question : si c'est l'amour qui me guide, plus que l'éthique ou la morale, jusqu'où irais-je par amour ? Dans quel monde ai-je envie que ma bien-aimée vive ? Dans un monde où tout le monde se hurle dessus, se déchire pour des broutilles et fait exploser des villes par égo ? Ou dans un monde tranquille, plus juste et plus vert ? Selon la réponse, mes positions politiques, mes actes et mes opinions seront logiques.

Si vous voulez que vos enfants et que les gens que vous aimez vivent dans un monde en sang, divisé, mené par la haine et le mépris, où des gens meurent partout à cause de ces bêtises, on ne se comprendra pas.

Je pense qu'on a le droit d'être en désaccord, mais pas de juger et de décider de la vie d'autrui parce qu'on a mauvais caractère. Nos vies ne sont pas des débats, ce n'était pas une question : trans, homo, lesbienne, aromantiques, intersexes, tous ceux que vous ne voulez pas voir existent. Ignorez-les si vous voulez, mais arrêtez de les tuer.

Reprenons.

Mieux encore : si vous avez la possibilité d'arrêter le train, donc de sauver dix inconnus et votre grand amour, ou un•e ami•e, mais que vous seriez assassiné•e pour cela, le feriez-vous ? Arrêteriez-vous le train ?

Autre cas : dix personnes blanches, cis, hétéro vont être assasinées, elles ne survivront que si vous mourrez à leur place (et on est en position de savoir que le marché sera respecté, c'est le monde de la philosophie ne discutez pas), vous sacrifieriez-vous ?

Si oui, est-ce parce qu'elles étaient blanches, cis et hétéro ?

Ou bien parce que c'étaient des humains, des êtres vivants ?

Pourriez-vous regarder mourir dix noirs ?

Dix arabes ?

Dix enfants ?

Dix femmes ?

Dix homosexuels•les?

Dix trans ?

Pourriez-vous vivre tranquille en sachant cela ? Si oui, laissez mourir les hétéros blancs aussi, car aucune vie, aucune, n'a plus de valeur qu'une autre.

Je n'aimerais pas mourir pour dix personnes, mais j'aimerais encore moins savoir que je les ai laissées mourir, blanches, hétéros, noires, trans, peu importe. Je ne pourrais pas non plus regarder mourir dix porcs, alors comme tout le monde j'oublie et je fais comme si ça n'existait pas, et j'ai honte, et j'essaie de changer ça. Et vous ?

Comme le dirait Swann Périssé, c'est comme refuser d'aller chez le dermato alors qu'on a une verrue énorme d'une couleur étrange parce que, de toute façon, elle est dans notre dos et on ne la voit pas.

On mourra tous de ce déni absurde.

L'amour est plus fort que la justice. Je ne veux pas mourir, je veux vivre avec la femme que j'aime, mais je veux encore plus qu'elle puisse vivre, même si je dois mourir pour ça.

Nous ne méritons pas plus de vivre qu'un porc ou un poulet, nous ne valons pas plus qu'un poisson, c'est déjà grave de penser cela, alors pourquoi, en plus, on se fait la guerre entre humains ?

Pourquoi on hiérarchise les existences ? Pouvoir ? Argent ? Toujours pareil.

Mon ami•e a raison, le capitalisme tue, et ça donne envie de foutre le feu.

Mais aussi injuste et difficile la vie puisse être (à cause des humains la plupart du temps), il arrive trop souvent qu'elle soit belle, et je veux essayer d'y croire.

Et j'aimerais dire que personne ne mériterait de mourir prématurément... Mais il y a trop de connards sans remords pour que je m'émeuve.

Happy pride à tous.

Trans lives matter.

signé : une abeille lunaire