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Photo du rédacteurL'abeille lunaire

Un monde

De Laura Wandel


Enfin un prétexte pour parler de cela, de ce fléau, de ce cauchemar, de cet abysse psychologique : le harcèlement. Présent partout et à toutes les échelles, de la cour de récré au plateau télé, ce phénomène bouleverse, fascine, révolte autant qu'il questionne. Pourquoi ? Comment ? Quand ? Qui ? Il suffit d'un rien, d'une braise de faiblesse sur laquelle quelqu'un souffle par inadvertance, invitation à ce que d'autres s'y jettent, corps et âmes, par des rires ou des remarques, pour nourrir cet instant d'un morceau de journal diffamatoire qu'on penserait moindre au milieu de ce brasier noir. Et pourtant, grâce à lui, le feu grandit et ne s'arrête plus. Trop tard. Et le complexe de départ se termine en cauchemar, un incendie intérieur qui tue avant l'heure. Les poumons se remplissent de fumée, et avant même de tomber nous sommes déjà morts, nous sommes déjà perdus, en nous-mêmes et en ce monde. Un manque de tact, une mauvaise blague, une complaisance, puis un réconfort de savoir l'autre toujours plus faible. Un rituel, une bousculade ou un mot traditionnel, tout part d'un rien, et tout s'envenime masqué d'un "rien". Ce n'est rien, tout va bien, il ne s'est rien passé. On n'en dit rien, on ne voit rien, on ne fait plus rien, on se résigne, comme Nora, dans ce film de Laura Wandel « Un Monde » (2022), qui se rend compte très vite que « quand on aide ça empire ». Comme son frère, Abel, harcelé qui garde le silence, qui aimerait que ce ne soit rien, qui veut croire que ce n'est rien, et qui ordonne à sa sœur de ne rien en dire lorsqu'elle devient témoin de ses maux. Comme ces garçons, harceleurs enjoués, convaincus de ne rien faire, simplement amusés d'un rien. Tous les personnages du film sont résignés, hypnotisés par ce rien qui les détruit, les terrasse, les réduit, les transforme. Et pourtant, les regards de Nora ne deviennent jamais complètement indifférents, l'enfant ne cessent jamais de s'inquiéter, quitte à se rebeller pour que les choses bougent autour d'elle, alors l'espoir demeure en nous : le film n'est pas terminé, alors nous continuons à croire que tout finira par s'arranger. Car il n'y a pas que les contes de fées qui finissent bien, la vie aussi sait le faire, parfois. Et Laura Wandel nous plonge dans un monde auquel nous attribuons habituellement douceur et innocence : celui de l'enfance. Or c'est pour en montrer la cruauté et les difficultés. Comment s'y prend la réalisatrice et pourquoi ? Sans prétendre parler en son nom, j'ai fait ma propre analyse des aspects de ce film m'ayant surprise, happée, bouleversée, à commencer par sa façon de filmer.


Comment plonger dans un monde qui n'est pas (plus) le notre ? En prenant son point de vue. Et pour comprendre un enfant, il faut se mettre à sa hauteur. L'entièreté du film est ainsi filmé : à moins d'un mètre de Nora, à hauteur de son visage dont nous épions regards et réactions. C'est là le point central du film. Nous sommes centrés sur elle, concentrés sur ce qu'elle voit sans forcément le voir nous-mêmes. Une enfant larmoyante à l'idée de quitter son pères et de ne pas pouvoir rejoindre son frère à la cantine, timide à l'idée de parler en classe ou effrayée quand vient son tour de sauter dans la piscine. Comme tous les adultes, ici réduits à des voix la plupart du temps, nous aimerions croire qu'il ne lui arrivera rien de mal, que l'école lui apprendra la vie. Et en un sens ce fut le cas. Elle y apprit que les gens que nous aimons souffrent. Témoin du harcèlement de son frère, elle tente de l'aider, d'alerter les adultes, mais rien n'y fait. Témoins en même temps qu'elle, aussi désemparés face à la situation, l'écran, sans cesse resserré sur elle, nous étouffe. On est enfermés dans ce petit monde, un monde d'impuissance, de peur et de souffrance. Nora regarde le harcèlement, nous nous l'entendons. Notre imagination fait le reste. C'est elle, ici, qui décide indirectement ce qui rentrera dans le cadre, et les seules personnes dont nous voyons distinctement les visages sont ceux qu'elle laisse entrer dans son univers. Un cadre dont elle semble vouloir échapper... son regard est toujours tourné vers la fenêtre, vers le hors champ, vers les adultes qui l'interrogent, elle semble en permanence prise dans ses pensées qui, probablement, la torturent.



Après la peur, que ressent un enfant de six ou sept ans lorsque son grand frère se fait harceler ?


Dégoût, honte, amertume, colère, Nora se renferme sur elle-même. Elle devient inaccessible pour quasiment toutes les personnes qui l'entourent. Nous sommes les seuls à être si proches... peut-être car nous partageons un tant soit peu sa peine ?

Pour finir sur les aspects techniques, il fut choisit de n'associer aucune musique au film. Nous entendons les voix des adultes, le brouhaha des enfants, les discussions qu'a Nora, la réalité l'entourant. Ce réalisme est également immersif, parfois pesant, d'autant plus lorsque le film se termine sur un écran noir avec le nom des acteurs et de la réalisatrice, puis défile comme nous en avons l'habitude... mais dans un silence de mort. Comme si cette histoire avait été posée là, sans commentaire, sans filtre, sans épilogue, sans explications, comme un témoignage cru et émouvant. Un cadre, des sons et des acteurs poignants pour mettre une image et des mots sur ce que vit un harcelé, mais également un témoin.



Comment le harcèlement affecte-t-il des enfants ? Ces êtres que nous imaginons habituellement heureux, innocents, purs, ici s'insultent, s'ignorent, se battent, imitent les problèmes des adultes. Les amitiés sont pénibles, les rumeurs sont faciles, les peurs sont partout, et qu'est-ce que cela a comme effet sur un être en construction ? Nora, face à un frère victimisé et à des enfants cruels, explicitement ou implicitement, se renferme. Elle est très souvent seule et silencieuse, observatrice et de moins en moins actrice. Touchée par le harcèlement de son frère, par un père qui ne travaille pas « comme les autres papa », on lui fait croire qu'elle doit en avoir honte. On lui fait croire qu'autour d'elle rien n'est normal, que tout est « dégueulasse », et donc qu'elle n'a sa place nulle part. Alors naît en elle une horrible colère : celle d'en vouloir à son frère de « ne pas savoir se défendre », celle d'être embêtée car son père s'occupe d'eux et s'inquiète pour eux, celle de violenter quiconque la laisse de côté. Nora, qui au début du film s'inquiétait pour son frère, en veut désormais au monde entier de lui rendre la vie si pénible, lui y compris. Pourquoi ne peut-il pas se défendre ? Ce grand frère que l'on pensait si fort, étant petite, ce grand frère qui nous protège, pourquoi ne se protège-t-il pas, lui... ? Et par cette honte, par sa propre souffrance, peut-être participera-t-elle au fléau de son grand frère. Abel, de son côté, voit le harcèlement empirer, portant avec sa sœur le poids du silence, et passe du « côté obscur de la force ». Que fait un harcelé pour ne plus l'être ? C'est un film qui explore bien des contrées en matière de psychologie...




Incompris, bouillants de rancœur, devenus impertinents et rongés d'une rage qu'ils ne savent plus sur qui ils doivent la déverser, ces enfants se perdent dans ce petit monde qu'est la cour de récréation. Environ deux minutes avant la dernière scène du film, j'ai pensé : « et dire que ce film commençait par une étreinte entre Abel et Nora... », de ce fait j'ai été complètement chamboulée et scotchée face à ces dernières minutes de visionnage.

Puis... écran noir.

Je reviens à la réalité.

Et l'équilibre a été rétablit.



(actuellement au cinéma...)


Signé : une abeille lunaire




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