"Déjà je pars
et il me manque de l'air,
me voilà m'éloignant
et mon coeur se serre,
mon esprit lacère,
dans un étrange vide je me perds,
dans le Temps cruel je me réinsère"
ai-je écrit le 3 novembre 2022, dans mes notes, quittant une safe place
SAFE PLACE. Je trouve le terme anglais assez parlant : un lieu, une place, qui nous protège, ou nous fait nous sentir en sécurité ; un endroit où tout est plus facile, où la liberté d'être soi peut s'exprimer. En français peut-être que cela pourrait se rapprocher de "refuge", "bulle", "cocon", un "chez soi" en un sens, car c'est le lieu qui nous fait nous sentir si bien qu'on a l'impression de nous sentir "nous-mêmes".
Et c'est bien cela, le problème.
Ces lieux, ces safe place, tout le monde en a et tout le monde en a cruellement besoin. Pour certains c'est la maison, d'autres c'est le lit, uniquement, sous la chaleur et l'épaisseur de la couette, elle qui invite au rêve. Pour d'autres encore c'est le petit café caché en ville, la bibliothèque, la nature ou le fait d'être avec une personne spécifique. La safe place n'est pas limitée en nombre (on peut en avoir une ou plusieurs) ni en forme (elle peut être n'importe quoi), ce qui la détermine c'est réellement ce sentiment de bien-être lorsque nous y sommes et l'échappée au monde présent qui fourmille, s'agite et accélère sans cesse. S'évader.
Mais alors, ne sommes-nous "bien", ne sommes-nous "libres", ne sommes-nous "nous-mêmes" que dans ces lieux ? Ces quelques lieux ? L'on pourrait considérer qu'en avoir un c'est déjà bien, que se sentir libre dans certains endroits c'est déjà énorme. Mais n'avons-nous pas en tête, constamment, l'idée que nous sommes libres ? Ou du moins que nous voulons l'être. N'avons-nous pas pour acquis l'idée que nous sommes "nous-mêmes" ? Cela va de soi. Mais le simple fait d'avoir des lieux-refuges prouve que ces idées ne sont pas des évidences et ne sont pas acquises ni actées.
Nous ne sommes que rarement libres, nous ne sommes que rarement nous-mêmes.
Je ne rentrerai pas dans de grands débats sur ce qu'est la Liberté, pas la peine. Pourquoi se prendre la tête avec des mots complexes quand on peut la ressentir ? Réfléchissons. Imaginons. Si l'on parle à tout bout de champ de la liberté, si on la désire et si on la revendique, c'est bien qu'on en a eu l'idée à un moment T. Qu'avons-nous appelé liberté ?
Un trait long paragraphe tente de définir le terme dans le Petit Larousse ( que mes bras ne trouvent pas si petit). Il est notamment inscrit : "Etat d'une personne qui n'est pas soumise à la servitude - Etat d'un être qui n'est pas retenu prisonnier"
Et l'essentiel est dit.
Car, autrement dit, la liberté est cet état qui nous fait nous sentir défaits de tout lien, de toute obligation, de toute crispation. Quand ressent-on nous cela ? Concrètement ? Je ne pense pas que ne plus respecter les lois, manquer de respect, partir au bout du monde ou se terrer dans son trou, "juste parce que l'on peut", suffise à nous faire nous sentir libre. Il me semble que le sentiment de liberté va plus loin que l'acte libre.
Le sentiment, le vrai, celui qui fait frissonner le corps tant ce dernier n'est plus assujetti, le sentiment de liberté s'atteint à certains endroits, à certains moments, quand l'esprit ne pense plus, pourrait-on dire.
Lorsqu'on s'arrête.
Aujourd'hui, notre principale prison est en nous-mêmes. Notre propre esprit, ce traître. Quand on a l'impression d'être libre, de n'avoir rien à faire, de suivre nos envies, l'esprit se calme-t-il pour autant ? Arrête-t-il de tourbillonner à nous en donner le vertige ? Il ne me semble pas. Le corps ne peut pas être libre sans l'esprit, et l'esprit ne peut pas se libérer sans l'aide du corps. De ce fait, sauf si un énorme et improbable travail sur soi, sa relation à son corps et sa manière de penser, donc de vivre, a été fait, nous ne sommes jamais constamment libre et ne pouvons contrôler ces instants de liberté.
Mais ce sentiment reste-t-il inatteignable pour autant ?
Heureusement non, car l'humain, par instinct, par recherche naturelle de se sentir "bien", trouve des safe place, des lieux-refuges. Ces lieux sont partout, ces lieux nous n'avons même pas à les chercher ! Pour vivre ils sont nécessaires, alors regardez autour de vous et peut-être prendrez-vous conscience de leur existence, et alors le sentiment de liberté, en ce lieu, grandira, encore et encore, car la conscience a cette magie. Je vous le dis ici : tout est déjà là. Je vous le dis, car on ne nous le dit pas assez.
On ne nous dit pas qu'un simple coup de vent, une feuille qui virevolte dans l'air, plusieurs qui valsent sur terre, les vagues feuillues et toutes brillantes des arbres, on ne nous dit pas que cela peut ne faire qu'un avec nous et suffise à nous faire sourire et à se sentir bien.
On ne nous dit pas que le soleil peut nous caresser, nous proposer un rire et la naïveté.
On ne nous dit pas que la lune peut sécher nos larmes, nous étreindre et nous apprendre à tout voir comme des étoiles.
On ne nous dit pas qu'une mélodie peut serrer la gorge, noyer les yeux et susurrer à l'oreille quelques douceurs nécessaires.
On ne nous dit pas que l'odeur du papier, de l'encre, quelques mots écrits avec simplicité, peuvent nous arracher aux obligations quotidiennes, ni que l'odeur d'un souvenir peut soulever l'âme au-dessus de tout devoir.
On ne nous dit pas que leurs sourires, leurs vies, leurs esprits, nourrissent les nôtres.
On ne nous dit pas que les joies et les lumières de l'enfance ne devraient pas être éphémères... car elles nous permettent de ne pas nous fâner plus tard.
On ne nous dit pas que... tout est déjà là, qu'il suffit de le voir, d'apprendre à l'accueillir, d'apprendre à s'en contenter, de ne pas chercher plus loin, comme lorsqu'on ne connaissait que cela.
Là, voilà. A quoi bon philosopher sur la liberté ? Apaisée, le corps sans souffrance, l'esprit au repos, les pensées simplifiées : je me sens libre. Au milieu de ses bras, enrobée de cet arôme dansant ou de ce silence mélodieux, entre ces murs tapissés de tableaux maternants ou de vieilles photos de la jeunesse, plongée dans nos conversations : dans ces "lieux", ces safe place, je ne me prends plus la tête, je laisse mon être être... un bonheur si grand et d'habitude si irréel, qu'en ces lieux l'on pourrait presque croire en Dieu.
"Merci
de m'accorder cette
pause
Merci
de t'incarner en ce qui crée mon
sourire
Merci
d'entendre ma
détresse
permanente dans ces ailleurs
Merci, lieu divin, mon protecteur... Merci chère étreinte, cher salon, cher sourire, cher toi... Toi, quoi que tu sois, qui pour moi, est ma safe place"
Signé : une abeille lunaire
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