L'amour est un choix.
Aimer quelqu'un de tout son être, avec la plus saine des dévotions, c'est un choix complexe. C'est le résultat d'une acceptation tardive, après mûre réflexion, mûre remise en question, des difficultés nécessaires de l'amour. L'acceptation et non la fuite. On ne choisit pas d'aimer, mais on choisit d'aimer pleinement, d'aimer fièrement, d'être un amoureux, une amoureuse.
L'amour n'est-il pas naturel ? Que choisit-on dans l'amour ?
Pourquoi parler d'« acceptation tardive » ?
Déjà, l'amour. Lequel ? Pourquoi ? Comment ? Combien de temps ?
L'amour, me semble-t-il, n'est pas naturel au sens où on pourrait l'entendre. On est portés à avoir de l'affection pour quelqu'un, mais cela n'est jamais gratuit. Notre être tout entier ne fait que réagir et tirer des conclusions générales de ses expériences sensibles. Si, durant la grossesse, nos parents nous parlent, nous chantent nous expliquent des choses et nous caressent à travers la peau maternelle, on aura de l'affection pour eux. Si, à notre naissance, notre mère nous fait un sourire, on aura de l'affection pour elle. Si en grandissant notre père est affectueux, attentif, présent, on aura de l'affection pour lui. Si, lorsqu'on pleure face à la douleur de l'existence, nos parents nous embrassent, nous étreignent, nous écoutent et nous soutiennent, on les aimera. Nos réactions face aux comportements d'autrui nous amènent à les aimer. Nos parents ne sont pas aimables à la seconde où ils nous apparaissent, même si une sorte de reconnaissance chimique entre les individus n'est pas à exclure... Mais l'ADN, les gènes, n'incluent pas l'amour.
L'amour familial est donc une construction sur le long terme par la réception et l'intégration des actes des membres de notre famille. Comme tout amour, il n'est jamais éternel. Car tout individu est si imprévisible qu'il peut rompre cette fragile édification qu'est le sentiment humain, ici l'amour.
L'amour amical, romantique, et même l'amour de soi, sont du même ressort.
Cependant, tous ces types d'amour font face à une autre influence extérieure, dangereuse et forte, que chacun de nous reçoit, intègre, digère. Je veux parler de la culture. Si l'amour est une construction, la vie sociale en pose des fondements en béton. Mais une chose est à dire : ce sur quoi se construit notre être, nos croyances, nos sentiments et nos rêves n'est pas toujours réel.
C'est là l’ambiguïté, peut-être, de mon propos.
Nous nous construisons, mais le bâtiment est plus ou moins solide. Dans les cas d'un amour parental fort, les liens durent, l'amour survit et se développe car la base de ce sentiment est purement relationnel, affectueux. C'est notre réel premier amour. Autrement dit, l'enfant aime ses parents pour ce qu'ils sont, car avant de les rencontrer il n'avait pas d'autres sources de comparaisons. Mais après cela ? Après l'enfant est éduqué. Il prend pour modèle ce que ses parents lui montrent. Il prend pour modèle ce que la société lui montre à travers ce que ses parents lui montrent. Et la perfidie est dans cette éducation. L'amour, le vrai, est innocent. C'est l'attirance spirituelle pour un être. C'est ressentir quelque chose de plaisant, en nous, face à cette personne. C'est instinctif. Et il se développe si on laisse ce sentiment se développer en nous. Depuis la naissance, l'enfant réagit positivement à des actes de ses parents, l'amenant à les apprécier, parce que cetenfant particulier apprécie ce que ses parents font. Un autre enfant aurait peut-être détesté.
L'amour est donc purement singulier. Purement instinctif. Purement naturel. Car tout être, d'une manière ou d'une autre, cherche des liens avec les autres êtres de ce monde.
Mais comme l'humain est un être en partie construit, cet amour instinctif se transforme en casse-tête inimaginable. Lors de l'éducation de l'enfant, on ne lui apprend pas à écouter son corps pour reconnaître les sentiments qui l'animent et le traversent. On lui apprend bien des choses, mais pas l'écoute de soi. Même si, dans le meilleur des cas, le cercle familial s'y essaye, l'enfant est éduqué par la famille éloignée, l'école, les réseaux sociaux, la télévision, les traditions, les croyances ancrées, les amis et les autres familles. Et se met en place, forcément, ce que j'appelle les simulacres de l'amour.
En fait, comme pour beaucoup de choses, la vérité que détient l'enfant, sans le savoir, lui est arrachée. Et, une fois adulte, il va avoir besoin de la retrouver.
Dès nos plus jeunes années, on nous met devant des films ou des livres. Or, quel amour y est représenté ? Est-ce cet amour au naturel ? Que nenni. Dans les films et livres pour enfant, le prince aime la princesse pour sa beauté, sa vulnérabilité, et c'est à peu près tout. La princesse aime le prince alors qu'elle ne le connaît pas, mais qu'importe, il est riche et beau. Coup de foudre dès le premier regard. Le parfait bonheur, éternel, lumineux, prospère. Un homme et une femme. Qu'y-a-t-il de moins naturel que ce scénario qui inonde notre jeunesse ?
Alors que notre première impression de la vie était : « oh, ma mère me sourit, j'aime bien ce que cela procure en moi, et elle est tendre avec moi, donc je crois que je l'aime », désormais on remet en question ce naturel et on se dit : « donc l'amour, c'est censé être ça ». Et comme en grandissant tout concorde en ce sens, on s'embarque dans une quête de l'amour perdue d'avance (ou au contraire on tourne le dos à « l'amour », écoeuré de sa « réalité », en réalité factice). La pop culture dont je parle ici n'est pas à prendre à la légère. On regarde tous des films, des séries, des émissions, on est tous plus ou moins sur les réseaux sociaux, qui par la suite perpétuent ce mythe de l'amour de la beauté parfaite. Car c'est cela, en fait. C'est la recherche de la perfection. Comme si l'humain ne savait pas se satisfaire de sa vie et de son monde, qu'il avait inventé des rêves idylliques pour penser à autres choses, et que désormais ces idéaux avaient complètement pris possession de sa réalité.
On attend de notre ami qu'il soit toujours là, drôle, encourageant, surtout pas égoïste, et on lui en veut quand il ne répond pas immédiatement à nos messages ou qu'il parle trop de lui.
On attend de notre amoureux qu'il soit romantique, mystérieux, généreux, torride, tendre, passionné, détaché, un paradoxe ambulant finalement. Et on le quitte à la moindre dispute, parce que ça ne colle pas, parce que l'autre ne fais pas l'effort de nous écouter, de nous comprendre, de nous aimer. Parce que « ce n'est pas comme dans les films ».
On attend de nous-mêmes la perfection. La minceur, le sourire, la réussite, la gentillesse, l'étincelance, l'organisation, la détermination, la soumission (critères ici surtout féminins)... Pour s'aimer soi on croit devoir correspondre, on croit devoir être « la personne aimable », comme dans les films, comme sur instagram. Celle qui est fidèle à elle-même parce qu'elle se connaît bien, celle qui est belle aux yeux de tous, celle qui est irréprochable, pure, sportive, healthy, celle qui sait ce qu'elle veut faire dans la vie. Et on se déteste si facilement lorsqu'on pleure, lorsqu'on prend du poids, lorsqu'on échoue ou qu'on se sent perdu. Je vous invite à aller lire mon article sur le « Vide intérieur », qui traite de cette quête de l'impossible et de ses funestes conséquences.
En attendant cela de nos proches et de nous-mêmes, nous n'aimons jamais vraiment.
Nous sommes toujours dans l'insatisfaction, parce que la perfection jamais ne s'atteint. Pourtant on mérite ce film et sa happy end, et je suis d'accord. On mérite le bonheur, on mérite une perfection. Mais ce qu'on a appris à reconnaître comme de l'amour, je vous le dis, ce n'est qu'un film d'amour, qu'une comédie, qu'un simulacre. C'est le principe même du film : jouer la comédie. Aussi ancré sur le réel soit-il, il n'est pas réel. On a oublié de nous dire, en nous asseyant devant ces écrans, qu'il fallait garder une distance de sécurité avec ce qu'on allait nous montrer. Pourquoi, après La Belle au Bois dormant, n'avons-nous jamais eu de conversation avec un proche pour nous expliquer que ce n'était qu'un film ? Ou mieux, pourquoi, sachant que l'on se nourrit malgré tout de ces images, n'y a-t-il pas de films romantiques réalistes ? Vraiment réaliste ? Pourquoi n'y a-t-il pas plus de comptes instagram de couples réalistes, de corps réalistes ? Je vous le demande. Ce qui se dit « réel » et inspiré de faits réels, l'est-ce tant que cela ? En arts on ne peut s'empêcher de romancer. On veut plaire, pas dire la vérité. Sordide séduction.
Nos édifices sont fragiles.
C'est pourquoi ils s'effondrent lors de la rupture, alors qu'on croyait ce couple prêt à durer comme dans un Disney. Et tous nos repères s'effondrent, tout notre monde. Tout ce qu'on croyait être vrai ne l'est peut-être pas... Ou bien il faut juste attendre un peu plus le prince charmant. Quand comprendrons-nous qu'il ne viendra pas ? De un, on n'a pas besoin d'être sauvés, de deux, si l'on en a besoin, notre sauveur c'est nous. Uniquement nous.
Femmes du monde entier, vous n'êtes pas des demoiselles en détresse qui doivent attendre un prince superficiel pour enfin pouvoir vivre.
L'amour est une construction.
Il faut se rendre compte, en revanche, que depuis l'enfance on nous a construit une image de l'amour, non l'amour. Il faut se rendre compte que l'on doit déconstruire l'amour pour le reconstruire nous-mêmes. Notre vie ne peut pas se construire sur n'importe quoi.
Ce qui fait de l'amour un choix : choisir d'être heureux, choisir de se foutre la paix.
Lorsque l'on se rend compte que l'amour est dicté par des critères arbitraires et artificiels, il ne dépend plus que de nous de choisir de s'en défaire. Le problème, encore un, étant que si cela ne dépend que de nous (car c'est de nous qu'il s'agit) cela n'est pas pour autant facile, ce n'est pas une simple prise de conscience : c'est un processus, une démarche. C'est faire le geste de résister. C'est se forcer à résister à notre seconde nature. Car ces attentes, cette recherche de l'ordre et de la perfection dans nos vies, tout cela est vide et artificiel. C'est une « nature », prétendue naturelle, plaquée sur notre vraie nature, que nous seuls pouvons connaître. On nous a dédoublé, divisé en notre propre individualité. Notre combat est de retrouver notre unité paisible.
Ce retournement de l'esprit, déjà, offre à voir le monde différemment. On est tout de suite plus compréhensifs. On comprend que les hommes ne sont pas des êtres musclés comme des poupées et si faibles qu'ils ne pleurent jamais, heureusement. On comprend que les femmes ne sont pas les barbies blondes et stupides, ni les princesses fragiles, qu'on leur assigne depuis qu'elles sont bébés, heureusement. On comprend que l'on n'aimera jamais qui nous sommes si l'on cherche à faire de nous un idéal commun, un prototype, une sorte de perfection universelle, un robot. On ne s'aimera jamais nous-mêmes si l'on n'aime pas notre naturel oublié.
Or il me semble que pour pouvoir sainement aimer quelqu'un, s'aimer soi - ou du moins se respecter et s'accepter - est nécessaire. Quittons le mythe du couple qui se complète car les deux seraient la moitié manquante de l'autre. Ce que l'on recherche et ce dont on a besoin, c'est d'un être aussi entier que nous. Et, si l'on veut bien le voir, entiers nous le sommes déjà.
Je le redis ici, l'amour est un choix. C'est le choix de se battre contre les simulacres de l'amour. C'est le choix de se faire architecte et ouvrier de notre intériorité, d'arrêter de se laisser construire par des illusions.
L'amour est une bataille permanente.
Et l'amour parfait, le happy end, ou plutôt la happy story, tout cela arrivera. La perfection n'existe pas, ce qui est « parfait » pour vous existe. « The » happy story n'existe pas, ce qui vous rend heureux et ce qui rend votre couple heureux existent. Cela peut paraître bête, mais pour aimer de tout son naturel, il faut se battre contre les concepts.
Ré-écrivons le dictionnaire amoureux.
Bonheur : équilibre en moi.
Couple heureux/sain : deux êtres entiers qui se parlent et s'écoutent pour surmonter les difficultés de l'un, de l'autre ou du couple. Deux êtres qui ont appris à se connaître et qui n'attendent plus l'amour d'hollywood, seulement celui de la vie.
Perfection : ce qui sonne juste en nous, pour nous.
Amour : lutte permanente pour le bonheur, pour un couple heureux, pour trouver sa perfection, son équilibre. Acceptation du naturel. Acceptation de la vie telle qu'elle est. Acceptation de l'autre, tout entier / de soi, tout entier.
(…)
Signé : une abeille lunaire.
Je suis, pour le coup, en désaccord et considère que votre propos est pour ainsi dire hors, excepté votre opinion sur l'influence de la religion, de l'école, de l'État et de la famille que j'inclus dans une poursuite de la perfection, socialement définie.
En revanche, je conteste le fait que j'aurais dit dans cet article que l'amour n'est que entre deux êtres. Si c'est ce que vous avez compris, j'ai peut être été maladroite, mais ce n'était pas mon propos. Il est vrai que les exemples que je mobilise et la formulation de mes phrases peuvent prêter à confusion, cependant ce n'est là qu'une facilité lexicale et logique. En effet, même si l'on aime deux personnes, on ressent un amour…
Pour le coup, j'ai l'impression que si vous détruisez quelques murs conceptuels, vous n'en faites pas pour autant tomber toute l'infrastructure de l'idée. C'est un début, de mon point de vue.
L'amour est, comme vous dîtes, une construction sociale à n'en point douter. Cette vision nous est endoctriné par tout un tas de structure (Médias, Ecole mais aussi l'Etat et l'Eglise, qui ont beaucoup a gagner à ce que les individus suivent une forme docile du couple cis-hétéronormé) comme ne saurais mieux les décrire Foucault. Et s'il y a bien cette poussée vers la perfection dans une optique patriarcale, d'autres questions sont en jeu.
Il y a cette forme de l'amour, très codifiée, idéalisé dans une logique religieuse qui cherche…