deux voiles blanches glissant sur son bleu si calme.
bien docile, bien aimable, cette flaque.
elle nous porte, elle nous nourrit, elle nous rafraîchit, modeste protectrice.
c'est notre mère,
elle nous guide, nous caresse, nous surprend, parfois elle nous force et nous violente. à chacun son caractère : ses états d'âme la rendent d'autant plus vivante. et nous méritons tant ses châtiments, après tout la planète bleue l'est par sa présence, et que faisons-nous, à l'une comme à l'autre ? enfants indignes.
une mère admirable, une grande femme.
présente dans nos vies, elle ne bouge pas, elle est là, mais on ne peut la saisir, on ne peut tout connaître d'elle, on ne peut la contrôler tout à fait : c'est elle qui choisit, d'être mère mais aussi de ne pas l'être. peut-être d'être mer avant toute autre chose.
car on sent bien que nous naviguons sur le mauvais courant lorsqu'on définit l'océan par la relation qu'il a avec nous uniquement.
femme avant tout. une humaine, pas le rôle qu'on lui attribue.
encore de l'anthropomorphisme mais au service de la simple métaphore.
c'est un être, disons, un Être avant tout.
étendue lisse trompeuse, cet être qui se montre si droit est rempli de stries, de collines, de cicatrices, rien qu'à sa surface. sa peau bleutée inspire et fascine car sur cette dernière se dessinent des vergetures paisibles, ou une cellulite étincelante. arrondis dans la ligne, pas qu'un bleu tout vide, pas qu'une eau calme et immobile. ça plaît, ici. l'être en mouvement, changements constants : magnificence. c'est d'abord cela : un physique ambivalent, parfaitement imparfait, et trahissant ses émotions les plus profondes, dont une gourmandise certifiée pour venir lécher les côtes de la sorte.
et puis il y a ce qu'on ne voit pas, ce qu'on ne voit pas tout de suite, ce qui constitue l'Être.
peu importe la façade, celle-là ou une autre...
alors on plonge en l'âme
elle susurre :
"la mer, dit-on, l'océan, toujours un singulier synthétique alors que je suis tellement plurielle. singulier bien vague pour qui ne parle pas la langue des étiquettes. en moi il y a tant, tant de vide et tant de richesses, tout et son contraire, je me perds. tantôt froide, tantôt chaude, j'ai sans cesse la chaire de poule, je tremble à m'en déformer la peau, mais jamais la façade ne se fissure. seulement je suis habillée par l'incertitude, car je suis pleine de nuances dont je me serais bien passée.
chaude, réconfortante, câline, douce
froide, repoussante, violente, solitaire
en moi il y a toujours ces deux extrêmes, une cohabitation particulière. ici claire, ici obscure ; ici profonde; ici accessible : reconnaître cela ne veut pas dire que je me connais moi-même, au contraire. j'ai pour moi-même des mystères, des espaces en moi où je suis impuissante... tout ce qui m'habite est hors de contrôle, finalement, seule ma surface m'obéit à peu près. d'où ces colères monstres, d'où ces sortes de silences, ces respirations calmes ou ces murmures, j'exprime l'incompréhension, la frustration, la réflexion, l'acceptation.
je ne me connais pas moi-même, mais je me sais.
je me sais mystérieuse, susceptible, incohérente, riche, ambitieuse, élégante et poétique. et ce savoir, d'un jour à l'autre, me satisfait ou me frustre, et je laisse ces vagues de sentiments exploser à en atteindre le ciel, car après... une paix revient toujours. et à chacune d'elle je comprends un peu plus mon potentiel.
chaque jour je comprends un peu plus le sens des mots Beauté, Richesse, Vie, auxquels on m'associe. peut-être suis-je belle car je suis honnête avec moi-même ; peut-être suis-je riche car je suis pleine de pluriels mystérieux, terrifiants et brillants ; je suis en vie car en moi ça grouille, ça change, ça meurt, ça naît, et l'association complexe de vies, c'est ça un Être."
ses formes et ses couleurs
dont elle se peignait
la faisait briller.
Signé : une abeille lunaire
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