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Photo du rédacteurL'abeille lunaire

Le chœur des femmes

Aude Mermilliod



Adaptation d'un roman sûrement tout aussi touchant, cette bande-dessinée, en plus de faire la lumière sur les violences médicales ou la gêne d'aller chez le gynécologue, offre une diversité psychologique éblouissante. En ces pages se trouve le yin et le yang : l'équilibre en nous, au sein d'une famille, dans un couple, au sein de la société ainsi qu'entre médecins et patients. Grâce à ces personnages pleins de richesses, de nombreux tabous sont abordés, des abominations sont révélées et des complexes sont... enlacés de compréhension, de relativité et d'une poussière de fée allégeant tout cœur mutilé. Et cela permet non seulement de se sentir grandir intérieurement, mais ouvre également la porte à des débats nécessaires, des remises en question (sur les femmes comme sur le corps médical), tout comme à l'espoir de ne plus être surpris, et encore moins choqués, par des sujets tels que la gynécologie, la masturbation, la mutilation, le sexe, l'inceste, l'intersexe, la psychologie, la violence psychique et physique, l'épilation ou non, les complexes, les vergetures, la cellulite, les grossesses, le harcèlement, le viol, la mort, etc.

Ne soyons plus choqués d'en parler.

Ne faisons plus les surpris de constater que cela existe. Mettons nous à parler, nous aussi, en chœur, comme toutes ces femmes qui osent se montrer et parler d'elles et de leurs vies sexuelles à des étranges ; parlons comme cette œuvre parle de ce qui ne se dit presque pas.


Ici je parle, car que cela soit la fille, la femme ou la féministe en moi, j'ai été touchée par cette Bande-dessinée, en particulier grâce à trois caractéristiques : le dessin, les thèmes et les personnages.


  • Le dessin

Couleurs pastels, figures expressives, souvent caricaturales ou simplifiées, mise en page aérée et un ensemble doux, harmonieux mais aussi frissonnant et mystérieux lors des scènes les plus intenses, c'est un tout qui fonctionne et qui, personnellement, me séduit. Ce sont ces couleurs qui attirent l'œil par leur candeur mais qui semblent susurrer : « nous avons des choses à t'apprendre ». En effet, que ce soit concret dans notre société ou tapissé au fond de moi, les couleurs n'ont pas menti : j'ai appris ! Non seulement sur des psychés et des domaines méconnus, mais également sur la puissance de l'équilibre et de la simplicité. Choisir une « police » si minimaliste, colorée avec douceur et avec la légèreté d'un souffle printanier afin d'aborder méfiance, violence, solitude, colère et présupposé n'est pas anodin, me semble-t-il. Pourquoi choisir la douce fleur de cerisier comme métaphore de la souffrance ?

Peut-être pour proposer, d'emblée, un pansement ou un nouveau souffle de vitalité ? Comme le gynécologue que nous suivons dans ce récit, dont la gentillesse rassure et met immédiatement en confiance.



Ou bien dans l'espoir de rendre l'histoire pédagogique, humble, accessible, voire même pour séduire plus que choquer en dessinant l'horreur crue.

Ou, au contraire, pour rendre l'horreur d'autant plus perfide et insoutenable quand elle s'infiltre et se révèle au milieu d'innocentes fleurs...

Peut-être cette charmante simplicité, par endroit empoisonnée, est un tableau de notre société. Un langage gazé pour rendre une atrocité imperceptible. Belle, souriante, douce, accueillante, afin d'amener ou d'habituer à la cruauté qui coule dans ses veines mais dont elle fait l'active ignorance.

Ainsi est-ce une critique ? Est-ce un outil ? Est-ce un point de vue : « malgré la laideur de l'humanité c'est le Beau qui domine » ? Partons du principe que seule Aude Mermilliod a la réponse à ces hypothèses, mais ressentons ce dessin à notre façon : comme un accompagnement pour supporter un flot de malheur ou comme le reflet d'une société hypocrite.


  • Les thèmes -la médecine : s'il y a un aspect sur lequel est mis un accent spécifique c'est sur le formatage idiot et inhumain lors des études de médecine. Sur ce sujet, je conseille le bon film ornementé du nom de Robin Williams : Dr Patch. Guérir aussi bien le corps que l'esprit, ne pas sous-estimer l'impact du bien-être sur la santé ou les risques physiques à être trop insensible envers ses patients. TOUT apprendre aux élèves, toutes les méthodes, en droit, certes, la théorie, mais aussi de fait, la pratique, la réalité, l'humanité, afin qu'ils soient informés des douleurs évitables ou des conforts, financiers et physiques des patients. En gynécologie : ne pas sous-estimer l'écoute et comprendre quelle difficulté cela peut être pour une femme de venir se faire ausculter. Une relation humaine, honnête, douce et bienveillante avec son médecin peut TOUT changer : confiance en soi, en la médecine et en l'avenir. Finalement... on peut résumer ce thème médical par cette règle d'or : prendre en compte le patient, être humain avant d'être médecin. -la sexualité : seule, tôt, tard, forcée, attendue, idéalisée, mise en scène, réfléchie, facile, tout est abordé ou sous-entendu afin de rendre chaque situation « normale », comprise, entendue ou « acceptable ». Toutes les sexualités. Aucun jugement. De toute manière, pourquoi ? La jeune fille abusée, terrifiée, est ici mise à l'abri, cajolée, protégée comme on voudrait prendre soin d'une petite sœur. La gynécologie n'est plus un acte médical, c'est une étreinte qui veut dire : tout ne se passera pas comme ça. La mère âgée, amoureuse d'un jeune garçon, voit son aventure et ses choix défendus par le médecin, compréhensif et neutre. L'héroïne aborde son intersexualité (naturellement d'un genre mais avec un trait physique de l'autre) à tâtons, avec une forme de honte, de pudeur, et enfin avec beauté et dans son entièreté lorsqu'elle rencontre enfin une personne compréhensive et séduite par la personne qu'elle est, l'être en entier. Mot d'ordre : communiquer, relativiser, accepter, comprendre et affronter la nature par notre nature.

-le féminisme : non seulement la sexualité mais également la relation qu'une femme peut avoir avec son corps. Et là aussi : relativiser. Toute sorte de femme, toute sorte de corps, mais toujours le même sourire naturel et paisible pour les accueillir. Plus que la relation qu'elles ont avec leur corps, cette bande dessinée dénonce toutes les difficultés qu'une femme peut rencontrer au cours de sa vie : des à priori qu'on a d'elles aux injustices qu'elles subissent pour le simple fait d'être femmes. Ici le schéma est cependant original, car le personnage principal a beau être une femme, c'est par l'homme, le gynécologue, que le message féministe est transmis. Un tabou en moins : l'homme peut-être tout aussi sensible et féministe qu'une femme qui, elle, peut être plus insensible, ne pas se sentir concerner par la cause féminine voire même manquer d'empathie envers ses paires.

-la résilience : Le Beau et le Bon ne sont, contrairement à ce que l'on pourrait penser, pas omniprésents dans la vie de quelqu'un qui semble heureux. Être heureux, être généreux, n'offre pas une vie sans remords, sans traumatismes, sans peine ou sans haine. C'est simplement la récompense d'une façon de penser qui a été longuement alimentée et qui a finit par nous donner la force d'agir. Relativiser, prendre du recul, en tant que médecin, en tant que femme, en tant qu'homme, en tant que l'enfant de quelqu'un. Envers l'autre et envers soi. Ne pas laisser la noirceur nous pourrir, mais penser : ce n'est pas arrivé pour rien, je dois m'en servir pour avancer. Il n'y a pas d'anges, et les démons nous trouvent, ils ne nous habitent pas depuis toujours. A nous de décider si nous ne voulons que les croiser et nous en servir comme tremplin, ou si nous voulons nous en contenter.


-la passion : Comment, en tant qu'un individu sur 10 milliards, pouvons-nous impacter un monde déséquilibré ?

Par la passion, je pense. La passion raisonnée. Par notre propre bonheur de vivre (faut-il d'abord le trouver) et de travailler. Sachant que notre but le plus sain est de faire d'une « passion » notre métier. Et ensuite, nous toucherons d'autres personnes. Par l'authenticité, le plaisir et la bienveillance avec laquelle nous agissons.

Vouloir faire le bien en étant médecin, enseignant, pompier, écrivain, qu'importe, mais avant tout l'être pour soi. Pour son bien-être, donc pour celui des autres.


  • Les personnages Je finis sur un rapide compte rendu des personnages qui sont, tous, construits de sorte à impacter nos idéaux. « La » femme. « Le » médecin. « L' » amour. « Le » sexe. Réfléchissons deux secondes. Jean (''Djinn''- personnage principal), biologiquement est entre les deux sexes, avec une présence des attributs féminins plus importante. Mais psychologiquement, qui sait ? Du fait qu'elle possède, d'une certaine manière, les deux sexes, peut-être se sent-elle plus « homme », d'où son manque d'intérêt pour les plaintes d'autres femmes. Cela serait imaginable dans l'intersexualité ou non. Car qu'est-ce qu'une femme, outre les seins et les organes génitaux ? Ici, en en étant une, elle n'est ni l'idéal féminin, ni « la » militante excessive souvent imaginée. Relativisons. Effaçons toute ce que nous savons et laissons-nous être « femme » comme nous le désirons. « Homme » comme nous le désirons. « Les deux » si c'est ce que nous désirons. Peut-être faut-il faire la différence cruciale entre le sexe de naissance et le ressenti. Et si nous décidions qu'il n'y a pas d'âme femelle ou d'âme mâle ? Seulement nous, à l'intérieur d'un corps XX ou XY, nous qui ne sommes pas limités à un genre qui nous fut imposé et que l'on a tendance à beaucoup trop ressasser. Et maintenant, appliquons ce schéma à tous les à priori qui envahissent nos esprits. Car il n'y a pas une seule façon d'être femme, tout comme il n'y a pas une seule façon d'être médecin, père, enfant, amoureux, féministe, dépressif ou heureux.


Une bande-dessinée dont la douce beauté amène discrètement de lourds sujets. Mais cela les rend donc encore plus révoltants, ou bien moins importants que l'atmosphère positive qui se dégage tout compte fait de l'ensemble de cette œuvre. Alors l'espoir enveloppe notre cœur, mais également la volonté d'écrire à notre tour (enfin surtout moi). Continuer le chœur. Car comme le fait Jean en écrivant un article pour dénoncer les positions humiliantes que doivent prendre les femmes chez le gynécologue (alors que d'autres marchent tout aussi bien), on peut à notre tour réagir, que l'on soit comme elle, révoltés, comme le gynécologue, plus calmes, ou simplement touchés et donc que notre volonté de lutter se fasse avec douceur. Car je ne pense pas qu'il n'y ait qu'une seule façon de militer. Au contraire, chaque prise de parole, chaque idée défendue, chaque ligne écrite ou photo non retouchée est désormais une forme de militantisme. Une forme que je défends et qui touche une partie de l'humanité plus qu'on ne le pense. A chacun son militantisme. Que le chœur continue.


Conseil de lecture (bande dessinée) : La fille derrière l'écran (féministe et doux)


Signé : une abeille lunaire






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