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Photo du rédacteurL'abeille lunaire

L'Art de la joie

Goliarda Sapienza



Ce titre ! Avant toute autre chose !

Dès le titre j'ai été saisie. Un art ? La joie ? Alors si l'art est une pratique, la joie n'est pour personne inaccessible. Et, même si je ne suis pas un génie en la matière, au moins parviendrai-je à varier l'univers noir de la vie, revisiter l'art de trop penser, l'art d'avoir peur... Alors, dès le titre, on a espoir. Espoir de pouvoir pratiquer autre chose que l'angoisse et le désespoir. Peut-être qu'en lisant ce livre j'ai eu l'espoir de pouvoir pratiquer la joie quotidiennement, à titre personnel, mais il fallait voir plus loin. Quelles clefs nous seraient partagées pour penser la joie ? Quelles portes Sapienza ouvre-t-elle pour inviter le lecteur à pratiquer la joie ? Voilà, j'avais des attentes concernant ma future joie personnelle, mais j'avais également des attentes en terme d'idées philosophiques générales.

Je crois avoir été comblée. La forme et le fond sont si riches, si immersifs, qu'ils donnent lieu à un objet précieux, un livre détenteur de la joie mais aussi de la souffrance, et à travers elles, détenteur d'idées plus profondes et moins manichéennes. Ce n'est pas un livre philosophique théorique, mais il pense énormément, il dénonce, il bouscule, en cela il détient une philosophie sublime.


Une façon de vivre, de voir le monde, de réfléchir, d'aimer, de souffrir, tout détonne, tout surprend, tout fascine. L'écriture de Sapienza immerge le lecteur dans son histoire et dans un tumulte de mots magnifiques. Un plongeon qui nous fait oublier la surface. Parfois suivre ce flot de pensées rend fou, parfois il force à la réflexion, parfois il nous perd : on devient ce personnage, on le suit, on s'attache à cette femme dont la vie est aussi cabossée qu'esthétisée. C'est là sa force : souffrir, perdre, se relever, puis continuer à sourire, sincèrement, continuer à voir la vie d'une jolie manière, mais avec une magnifique force de caractère. Sapienza nous pousse à tout remettre en question, à questionner un temps, les gens, nous-mêmes. C'est à la fois un saut dans l'histoire (début du XXème siècle), une clef dans l'histoire du féminisme, et la subtile histoire d'une personne, d'une femme : Modesta.


L'Art de la joie, dans ce livre, semble caché derrière l'Art de l'amour. Tout type d'amour. Parents, amis, sexuel, romantique, mais aussi l'amour de soi. Peut-être est-ce l'harmonie de tous ces amours qui mène à la joie ? Ou alors, l'Art de la joie se dissimule dans la capacité du personnage, personnage torturé, à passer outre. Ou plutôt devrais-je dire... à apprendre, à continuer, sans se morfondre mais sans oublier. Peut-être est-ce, comme je le disais, le plus saisissant chez Modesta, soit sa capacité à encore vivre une vie riche, joyeuse et belle malgré la douleur et la mort. L'Art de la joie. Un art car qui peut dire qu'il parvient à faire fi de la triste réalité ? Non, ça se pratique, ça s'apprend, mais certains ont plus de facilités que d'autres.

L'Art de la joie arrive toujours, dans ce roman, par l'introspection, la remise en question, l'analyse de la peine et de la douleur. La joie émerge de son contraire, pourrait-on dire. Et l'Art de la joie... c'est aussi accepter qu'elle n'émerge pas toujours, justement.



Aperçu :


Conversation avec l'amant : « -Pardonne moi, mais qu'est-ce que ça a à voir ?... Je peux allumer la lumière ou ça te gêne ? (l'amant)

-Me gêner ? Pourquoi ? (Modesta)

-Mais en général on est gêné, moi je le suis un peu... Habille-toi donc, je me tourne.

-Pourquoi ne me regardes-tu pas ?

-Mais, ta jupe est soulevée et...

-Je n'ai pas de culotte ? Excuse-moi Carlo, mais c'est toi qui me l'as enlevée.

-Bien sûr, bien sûr, mais...

-Mais quoi ? Je te jure que je ne te comprends pas. Tu es gêné, ou je ne te plais pas ? Ça peut arriver, Carlo, je ne m'en offenserai pas.

-Je t'aime tant, Modesta. Tu es bizarre, mais je t'aime tant !... Comme tu es belle, nue ! J'éteins la lumière.

-Si je suis belle, pourquoi as-tu éteint ? »



Homosexualité ? : « L'autre fois aussi, enceinte, je n'avais d'attirance que pour les femmes. Se serait-il agi d'une sorte de défense de l'organisme rassasié d'humeurs masculines et ayant plus besoin de tendresse que d'une pénétration, qui peut-être pouvait déranger la formation de ce petit être que nous portions à l'intérieur de nous ? »


Féminisme : « - il est facile de s'offrir le luxe de faire l'agneau, quand la nature vous a accordé la faveur de naître loup. »


La force de la mémoire : « La mémoire comme clef de la nouvelle vision devient maintenant le premier moyen de permettre le voyage à rebours dans les forets souterraines des souvenirs apparemment oubliés, mais qui, ramenés à la lumière, réordonnés, nettoyés de leurs moisissures et de leurs croûtes, révèlent des mosaïques de pierres éblouissantes pour la compréhension de votre propre vie et de celle des autres. »


Notre histoire : « Comment pouvais-je savoir que le bonheur le plus grand était caché dans les années apparemment les plus sombres de mon existence ? S'abandonner à la vie sans peur, toujours... Et maintenant encore, dans les sifflements de trains et les portes claquées, la vie m'appelle et je dois y aller. »




Ce livre est une longue réflexion sur la vie. Une réflexion contagieuse, et j'adore ça. Aimer les hommes, les femmes, les gens, mais être pleinement indépendante. Vivre en temps de guerre, en aimant et en créant, mais non en ignorant. Vivre en tant que femme, tout « simplement ». Vivre traumatisée, mais vivre carrément. Modesta est une héroïne. Car elle est géniale et pourrait être n'importe qui. Elle est forte, mais elle est brisée. Elle est aimante, mais elle est rêche et ne se laisse pas marcher sur les pieds. Elle est paradoxale, riche, sage, têtue, elle est humaine.





Signé : une abeille lunaire.






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