[Pas de spoil ;)]
Ce pour quoi on 'doit' regarder la série :
Ce doit être ma découverte de 2021. Ma belle découverte, peut-être la plus belle. Je retourne sur des scènes spécifiques par gourmandise, me délecte des dessins splendides que m'offre chaque épisode et la psychologie des personnages est un délice pour quiconque y est sensible. Arcane est la série événement de Netflix (ou l'une d'elle) directement inspirée du jeu League of Legends (LOL) sur lequel je m'abstiendrai de dire quoi que ce soit – tout simplement car je n'y connais rien. L'ensemble de mes propos ne seront dirigés et tirés que de la série animée. Attendue depuis 2019 et accueillie comme une reine, non seulement par les joueurs de LOL mais également par des cinéphiles curieux, Arcane narre l'évolution de deux sœurs, Powder et Vi, qui après un massacre dans la Haute-Ville sont forcées de survivre terrées dans la Basse-Ville, auprès de leur père adoptif, Vander, tanguant sans cesse entre misère, loyauté et criminalité. Dans la Haute-Ville, prospère, protégée et rayonnante, un scientifique tourne nerveusement autour de mystérieuses sources de magie, convaincu que leur contrôle permettrait à la Ville de Piltover d'assurer son avenir économique et le bien-être de ses habitants. Mais mener ces expériences, potentiellement dangereuses, sans l'accord du Conseil – ce petit groupe de politiciens nobles et considérés sages – comporte de gros risques. Tout bascule lorsque les deux sœurs et leur groupe d'amis braquent l'appartement de ce scientifique, convaincus de rétablir l'équilibre, convaincus de bien faire, compte tenu de leur situation. Mais Powder, en volant les pierres magiques, en fait tomber une dans sa fuite : fissurée, la perle explose, et l'immeuble avec. Jayce, le jeune scientifique, est jugé par le Conseil pour mise en danger et irrespect des lois scientifiques ; le groupe d'enfants est recherché par la milice. Les deux mondes rentrent en confrontation, rompant tout accord et le peu d'équilibre qui régnait à Piltover. L'injustice se renforce, les relations se tendent, le sang coule, la magie est dispersée.
Cette rapide présentation permet déjà de souligner des aspects centraux dans la série : la critique sociale (injustice entre les classes, les oppositions voire les guerres), les psychologies qui en découlent, les réactions face à la magie, les stratégies politiques et les difficultés dans une famille, principalement la fratrie. (Les liens de sang sont-ils plus fort que tout ou sommes nous aptes à les rompre quand cela nous chante?)
Pour ceux n'ayant pas regarder la série, ce sont pour ces aspects que je vous conseille cette histoire, mais pas uniquement. En plus de la richesse des thèmes abordés ici, chacun suppose une panoplie de relations qui sont toutes d'une complexité humaine incroyable. Ensuite, la première saison se déroulant sur une dizaine d'années (ellipse après l'épisode 3), nous pouvons donc être témoins directs de l'évolution des personnages en fonction de leur histoire, de leur cadre social et de leurs caractères (Comment survivre psychiquement à un traumatisme durant l'enfance ?). L'ensemble de ces points nous offre un scénario vaste, prenant et imprévisible. Et si je devais ajouter une cerise sur cette argumentation... j'embrasserais ces dessins sublimes, cette animation d'une fluidité ahurissante (Les dessins animés/l'animation a-t-elle dépassé le cinéma classique? Qu'offre-t-elle de plus?) et cette magnifique chanson d'Imagine Dragons, Enemy, écrite spécialement pour la série et qui lui correspond parfaitement.
Mais à quel point Arcane nous parle ? Et à propos de quoi ?
Personnellement, mais avec le recul et l'expérience, voilà ce que je peux en dire :
Le dessin
Cela peut rebuter, je le conçois. Mais si c'est parce qu'on pense aux « mangas » ou à « Ghibli » alors autant dire que cela n'a rien à voir. Ici, les traits sont francs, durs parfois, assez droits, plutôt réalistes pourrait-on dire. Les yeux ne sont pas disproportionnés, les corps ne sont pas rendus inutilement parfaits (même s'ils sont bien bâtis dans l'ensemble), les détails abondent... bref, ce n'est pas un argument pour s'en détourner, au contraire.
Le dessin permet une fluidité et une rapidité bien plus grande lors des combats, mais aussi l'expression de sentiments qu'il est plus complexe, voire indélicat et caricatural, d'exprimer avec des acteurs. Je pense notamment aux maladies psychiques. Dans cette série, l'une d'elle, la psychose post-traumatique, est imagée par des flashs lumineux, des dessins enfantins apparaissant comme des screamers sur notre écran, et donc dans l'esprit encombré du personnage. Ce dernier semble emprisonné dans un autre monde : son propre esprit, ou un souvenir. Un souvenir qu'il a recréé, qui résonne en lui à chaque mauvais pas, qui le fait douter ou le pousse à une violence terrifiante. Et, perdu entre l'impuissance, la faiblesse, la rage et la force de destruction, ce personnage nous atteint, nous intrigue, nous terrifie autant qu'il nous touche. Et ce puit si sombre, le piège cruel dans lequel est coincé l'individu, il me semble que l'animation permet, par la dissonance qu'il crée lors de ces instants maladifs, de mieux le comprendre
La société
Quel meilleur vecteur que la fantaisie pour faire la critique d'une société bien réelle ?
Les échos que fait Arcane à notre monde sont probablement les raisons pour lesquelles l'on aime cette œuvre (en plus de la beauté, de la complexité, de l'immensité du monde inventé pour LOL, au même titre que sont impressionnants ceux de Star Wars, Harry Potter ou Le seigneur des Anneaux). « Haute et Basse Ville », certes c'est extrême mais cela représente pourtant bien une réalité contemporaine. Cela fait même partie de notre histoire, allez lire ce que Balzac observe d'Angoulême dans Illusions perdues ou encore la réflexion sur les classes sociales de Marx. Une partie de l'humanité est ainsi laissée dans la misère, la pauvreté, ou grandit dans un environnement qui invite parfois à la criminalité pour se faire respecter, survivre ou se faire entendre. De cela naissent forcément des animosités.
Car l'inverse existe également, et Arcane le montre tout autant : naître dans un milieu aisé mais désirer s'épanouir dans la « classe » inférieure met face à des difficultés.
Pourquoi notre société semble-t-elle si fracturée ? Peut-être car ses stries ne poursuivent pas les mêmes buts. De manière caricaturée, les politiciens s'intéressent à la stabilité, l'économie, aux chiffres, au progrès, aux images, à l'avenir, à la paix mais d'abord à la guerre. Les citoyens pensent au bien-être, au présent, à leur santé, à ce que la justice soit la même pour tous, à la nature devant chez eux. Ou plutôt... ils subissent ces facteurs qui semblent rester ignorés par les politiciens. Mais parfois la politique est locale, alors que les citoyens pensent au niveau mondial, comme c'est actuellement le cas à cause du réchauffement climatique. Concrètement, nous avons besoin des deux dans une société (militants et politiques), mais les deux ne s'entendent pas toujours... Arcane met en scène des Conservateurs effrayés, des innovateurs stratégiques, des militants humanitaires, des justiciers improvisés, des survivants hypocrites et de dangereuses victimes. C'est parfois dur d'admettre que nous avons un peu de tout cela en nous.
Cette diversité dans la société est aussi dangereuse qu'elle est nécessaire, car elle est à l'image de l'humain. Mais elle qui permet notre essor permanent, va-t-elle être ou est-elle la cause du chaos ?
Les relations
Sans tabous, pleines de modernité, mais sans affirmations lassantes. Arcane abrite toute sorte de liens (amoureux, amicaux, familiaux, politiques...) mais ne les proclament quasiment jamais. Tout est magnifiquement laissé à l'interprétation...
Egalement d'une complexité touchante, ces nombreuses relations sont à l'image de celles que l'on peut vivre : ambivalentes, manichéennes, belles mais cruelles.
On aime même si l'on déteste ;
on comprend mais on est en colère ;
on voulait bien faire mais l'on s'en veut ;
on l'adore mais on ne peut pas n'aimer qu'elle ;
on est reconnaissant, on aime différemment, mais avec un soupçon de manipulation ;
on semble froid et inhumain mais l'on sait faire preuve de tendresse ;
aujourd'hui on brille pour effacer la noirceur du passé... Arcane a, à mon sens, magnifiquement su imager la complexité mais également la beauté de l'âme humaine, surtout lorsqu'elle rentre en contact avec un autre mandala d'émotions. (Jouir d'analyser des esprits si finement créés... N'est-ce pas sur les relations et leur degré de complexité que repose une bonne histoire ?)
L'enfance, forgeron des psychologies
Trois épisodes, seulement, tournant concrètement autour de l'enfance, mais trois épisodes qui créent la suite, annoncent la suite, influencent la suite, hantent la suite. A l'image d'une vie, l'enfance semble courte, mais se rend-on seulement compte de l'impact qu'elle aura sur l'existence toute entière ? C'est ainsi que de nombreux sociologues, philosophes et artistes s'intéressèrent à cette période également (comme Françoise Dolto, Nathalie Sarraut, Dickens, Proust, Maurice Pialat, François Truffaut ou Salinger et tellement d'autres).
L'enfant est modelable, influençable, plus ouvert que quiconque à l'apprentissage. Sa mémoire se construit, trie ce qu'elle doit garder sous la main ou non. Sa sensibilité est à l'affût. Alors une rencontre, un évènement, un discours, une éducation... un rien, en fait, peut être aux prémices de toute une psychologie, toute une vie des plus complexe. Et il me semble que cette faille en chacun de nous a finement été travaillée dans cette série.
Les psychoses sont souvent dues à un traumatisme d'enfant. Et ce sont ces voix dissonantes, remplies de lointains souvenirs, qui chuchotent à notre oreille... d'attaquer, de se cacher, de se renforcer.
Non seulement l'enfance nous crée, mais les rencontres qui suivent, l'influence de cette fameuse société, les batailles que l'on mène, les idées et les morales que l'on se forge également... un tissage de psychologies fascinantes, vraiment inspirantes.
Et pour tout cela, ce puit d'inspirations, pour cette preuve de sensibilité et d'humanité, pour cette claque à tous les niveaux énoncés, pour toutes les stimulations psychiques que cela me crée, pour cette porte ouverte sur un autre monde, rempli de magie, de couleurs et d'imagination, pour cette force revigorée en nous, pour ce témoignage poignant mais aussi cet espoir aperçu dans certains regards colorés...
Merci Arcane.
Arcane,
Une fleur plantée subtilement,
nouveau bourgeon arrosé d'éducation,
et un jour les pétales explosent en
cet arc-en-ciel de de nouvelles questions
qui jamais ne fane.
Images pour tous
qui interrogent la personne
qui prend une nouvelle forme
qui façonne le tout
de la société.
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