Par curiosité et parce que jouer avec les mots est fascinant, commençons par l'étymologie latine de ces deux termes « lâcher » et « prendre » pour qu'en découle une définition courante. J'emprunte les propos à Marie-Luce Barthélémy qui a également traiter de cela sur son site Grandir :
« Le dictionnaire du CNRS précise que le verbe lâcher vient du latin laxare : « détendre, (re)lâcher, desserrer ; se détendre ». Dans notre contexte c’est l’action de laisser partir. A l’opposé, Le verbe prendre vient du latin prehendere, « prendre, saisir, s’emparer de ». En rassemblant ces deux mots contraires nous arrivons à la définition du Lâcher prise : Cesser de tenir quelque chose, cesser de s’accrocher à quelque chose. » let go, en anglais : laisser aller.
Partons donc de cela.
Cette expression, bien à la mode aujourd'hui, est primordiale dans ce qu'elle révèle de nos vies avant d'appliquer ce « lâcher prise » : aujourd'hui au cœur d'une société hyper-active et hyper-consommatrice et hyper-exigente, comment se détendre ? Comment relâcher la pression, abandonner ce dont nous nous sommes emparés ? C'est-à-dire se désemparer de cette compétitivité, ce stress, ce réflexe de comparaison dogmatique, ces doutes injustifiés, cette culpabilité entretenue ou cet égoïsme démesuré. Dit comme cela, certes, personne n'en voudrait. Mais tout le monde les a, et tout le monde s'y crispe corps et âme, se battant pour ne jamais sortir du cercle vicieux « réussite-contrôle-perfection ». En soit, qui ne se battrait pas pour sauver son monde ? Eduqués dans l'idée d'être premier, éduqués dans l'idée d'une vie compliquée et injuste, éduqués avec des définitions arrêtées des genres, éduqués par la publicité, le harcèlement et la peur, nous nous construisons et nous construisons notre monde dans ces limbes, à des années lumières de ce qui serait sain pour chacun d'entre nous.
Lâcher prise, c'est bouleverser tout ça.
Remise en question, déconstruction, interrogation, émancipation.
C'est se rendre compte, accepter et se relever.
Car pourquoi tenir aux mauvaises habitudes, aux mauvaises personnes ou aux mauvais environnements ? De manière plus psychologique, pourquoi devoir toujours tout contrôler ? Le contrôle tue. Etre trop dans le contrôle, plus précisément. Et cela va de paire avec mes propos précédents, nous voulons contrôler car nous voulons bien faire. Nous désirons être comme cette fille vue à la télévision, sans savoir qu'elle a été retouchée une vingtaine de fois ; nous désirons être celui en tête du classement scolaire, sans savoir que le cadre scolaire ne colle pas avec qui nous sommes ; nous désirons être cet enfant qui rendra fier nos parents, sans savoir qu'on ne change pas l'essence d'un être ; nous désirons être l'amant parfait, sans savoir que ni la pornographie ni l'infinité de partenaires ne fait la qualité d'un rapport ; nous désirons manger BIO, faire du sport, s'informer quotidiennement, lire et travailler, oubliant que nous ne sommes pas des robots... Et surtout, peut-être devons-nous le rappeler, nous ne sommes pas « parfaits ». La difficulté actuelle que nous avons à lâcher prise est-elle liée à un culte de la perfection ? (inatteignable, soit dit en passant)
L'humain est une infinité de qualités, de défauts, de projets, de regrets, de beautés, de laideurs, bref. Rien qui ne puisse rentrer dans une définition, et encore moins celle de la perfection qui, comme la symétrie sur notre visage, elle n'est qu'illusion. Les envies varient : parfois brocolis, parfois chocolat, parfois sport, parfois journée au lit, parfois travail, parfois sorties entre amis. Pourquoi vouloir contrôler ce qui ne peut pas l'être ? Le cerveau est indomptable. L'inconscient crée en nous des rêves, des passions... tiens ! Qui peut contrôler l'amour ? Qui peut contrôler l'amitié ? Qui peut contrôler la haine ? La peur ? Alors pourquoi contrôlerions-nous la faim, l'envie, le désir, le physique (à outrance) ? Mais peut-être... Peut-être faut-il également lâcher prise vis-à-vis des autres. On ne contrôle pas ce que les autres pensent de nous. Alors cessons de nous prendre la tête avec ce qu'on pense de nous.
Nous.
Finalement, commençons par laisser place à qui nous sommes, quitte à se retrouver ou se reconstruire si cela fait tellement longtemps que nous n'avons pas lâcher prise que nous nous sommes oubliés. Mais lâcher prise implique des retrouvailles avec soi-même. « Lâcher prise », une grande respiration, fermer les yeux un instant, s'intéresser à soi, à sa situation, à ses envies, à ses peurs, à ses objectifs, à son bien-être. Ce bonheur qu'on nous radote tant, il est là. Il suffit de fermer les yeux et de regarder.
Pourquoi je diabolise tant mon corps ?
Pourquoi je ne prends pas plus de pauses ?
Pourquoi est-ce que je m'ennuie tant ?
Pourquoi ai-je si souvent envie de pleurer ?
Pourquoi ai-je si peur des autres ?
Pourquoi ai-je tant de mal à faire confiance ?
Louise Aubéry a très bien résumé, dans sa dernière vidéo « Pourquoi je suis féministe ? » toute l'importance que, personnellement, je mets dans la question « pourquoi ? » : Il ne faut pas se contenter d'un « parce que », car derrière lui se trouve souvent une construction sociale nuisible, une interrogation philosophique/psychologique essentielle à notre développement. Et puis, si quelqu'un se demande « pourquoi ? », ce n'est pas pour rien.
Demandons-nous « pourquoi ? », pour lâcher prise, se déconstruire si nécessaire, et ainsi rebondir.
Cessons de diaboliser la chute, car c'est également ce que suppose cette expression.
Et si j'avais besoin de tomber ?
Parfois il faut tomber bien bas pour se rendre compte de tout ce qui n'allait pas, mais aussi de tout ce qui allait déjà. Ceux qui ne lâchent pas prise sont ces personnes terrifiées, avides de tout contrôler, souffrant silencieusement, se tuant à petit feu. Ceux qui craquent, qui pleurent, qui chutent, qui s'arrêtent, sont ceux que je vois briller, ceux que j'admire pour leur courage. Il en faut pour se « laisser tomber ». Ou du moins, laisser tomber les poids sur nos épaules, nos croyances erronées, les routes entamées, les personnes nocives, bref, pour se réorienter.
Finalement, c'est en laissant tomber que, peut-être, on ne se laisse pas tomber.
Cela dit, « lâcher prise » n'est pas la solution dans toutes les situations. Du moins... à différent degré. Parfois il ne faut pas lâcher, abandonner, au contraire il faut tenir bon, s'agripper avec force pour atteindre notre objectif.
Cependant, même une situation de ce genre, peut-être avec des deadlines, une pression extérieure, un emploi du temps chargé, des années d'études difficiles, certes l'objectif au bout est important et/ou nous tient à cœur et/ou est primordial pour notre suite... CERTES, mais il y a tout lâcher et lâcher prise juste une journée. Tout est une question d'équilibre. Parfois il faut tenir bon, mais cela ponctué de « lâcher prise ». Ça peut passer par le physique (promenade, sport), par un changement de décor (rentrer dans la famille, prendre des vacances, aller voir un ami, sortir boire un café), par un changement d'activité, pour penser à tout autre chose (arrêter de travailler pour lire, regarder un film, cuisiner, jouer…)… Bref. C'est souvent sur le long terme qu'il faut tenir bon, car malgré ces belles paroles nous vivons dans un monde magnifiquement capitaliste, élitiste et pressant. C'est donc par à coup, par petite dose, qu'il faut se « lâcher la grappe » sur le devoir et faire ce que l'on veut, le temps d'un instant. Ça ne tuera ni notre travail ni nous-mêmes de nous autoriser, psychologiquement, à lâcher prise.
Accepter de laisser certaines choses derrière nous. Accepter de ne pas être actif ou productif 24h/24. Accepter et revendiquer de ne pas être parfaits (s'il vous plaît). Lâcher prise c'est se donner quelques minutes pour planer en nous-mêmes, pour contempler ce qui nous entoure, pour remettre en question un monde qui a besoin d'être interrogé, pour nous redéfinir voire nous réinventer, il ne faut pas avoir peur de cette expression. C'est rien, c'est facile, c'est accessible, et ça peut tout faire. Est important ce a quoi on a décidé d'accorder de l'importance, lâchez prise un moment, et demandez-vous ce qui compte vraiment pour vous, sachant qu'à la racine de tout c'est Vous, votre vie et votre santé.
Laissons aller, laissons s'en aller ce qui nous étouffe.
Signé : une abeille lunaire
Comentários